Dans l'ombre de la reine
l’occupait.
Je ne supposais pas que Dudley aurait couché noir sur blanc, et de sa propre écriture, des instructions détaillées pour se débarrasser d’Amy ou aider Verney à s’en charger. Cependant, j’espérais trouver un élément quelconque : une allusion, une expression sibylline qui revêtirait un sens pour une personne en partie informée, une révélation involontaire…
Je lus la lettre de bout en bout et m’assis sur le lit, brisée. Une révélation involontaire. Oui, vraiment. Mais pas dans le sens que j’attendais. Tout à fait à l’opposé, en réalité.
La lettre appartenait à Thomas Blount. Elle contenait les instructions très strictes dont il avait fait mention, concernant la nécessité d’une enquête en vue d’établir la vérité.
Sa lecture, des plus déplaisantes, accrut encore mon aversion pour Dudley. Certes, Amy avait eu ses limites. Mais elle possédait une gentillesse foncière, et elle était belle lorsqu’il l’avait épousée. S’il lui en avait laissé la chance, elle l’aurait aimé d’un cœur fidèle. Elle méritait mieux de sa part. Je parcourus à nouveau le premier paragraphe.
Cousin Blount,
Peu après votre départ, Bowes s’en est venu me trouver, m’avisant que mon épouse est morte, dit-il, d’une chute dans l’escalier. L’ampleur et la soudaineté de cette infortune me plongent dans un abîme de perplexité. Jusqu’à ce que vous m’appreniez où en sont les choses et de quelle manière ce malheur devrait influer sur mon sort, considérant le bruit que répandra le monde médisant, je ne peux trouver le repos… Je n’ai d’autre moyen de me laver des propos calomnieux que de faire éclater la vérité toute nue…
« Mon épouse ». Juste « mon épouse ». Pas « Amy » et encore moins « pauvre Amy ». Aucun espoir fervent qu’elle avait au moins connu une fin rapide, et non une lente et douloureuse agonie. Pas la moindre trace d’affliction. Je me rappelai l’exaspération sourde avec laquelle, en me demandant de venir à Cumnor, il avait évoqué l’échec de leur union. « Fort bien, ils vivaient séparés ! me disais-je avec fureur. Mais n’aurait-il pu au moins feindre de la plaindre ? » Même si l’on s’était brouillé avec quelqu’un, si l’on s’en était lassé, n’aurait-on pas été peiné d’apprendre qu’il avait péri dans un accident, alors qu’il était malade et abandonné ? La décence la plus élémentaire eût été de faire semblant !
Au lieu de quoi son unique référence à l’infortune indiquait qu’il la tenait pour sienne, car il redoutait qu’on l’accuse d’avoir tout machiné.
Les paragraphes suivants ne valaient pas mieux. La syntaxe était confuse et hâtive, comme sous le coup de la panique. Il voulait dans le jury « les hommes les plus discrets et les plus influents », « pas de gens de peu », et les choses devaient se dérouler « conformément à l’ordre et au droit ». Les circonstances de la mort d’Amy le « troublaient extraordinairement » ; il demandait si Blount pensait qu’elle se fût produite « par un hasard fatal ou par quelque infamie ». Il avait envoyé divers parents et amis de sa femme veiller à la bonne marche de l’enquête – en effet, les demi-frères avaient été présents. C’était peut-être Dudley, plutôt que Blount, qui les avait convoqués.
La lettre puait la peur pour sa réputation, pour sa carrière, voire pour son cou. C’étaient les propos d’un homme pris au dépourvu, trop horrifié pour feindre les sentiments qu’eût exigés la bienséance. Je parcourus une fois encore cette missive déplaisante. Le prénom d’Amy n’y apparaissait nulle part. Dans le deuxième paragraphe, Dudley recommandait que « le corps soit examiné ». « Le corps » et voilà tout. Pas « Amy », avec laquelle il avait été marié dix ans et à qui il avait jadis fait l’amour.
S’il avait organisé sa mort, la nouvelle ne l’aurait pas stupéfié au point de le rendre presque incohérent et, en bonne logique, un homme venant de se débarrasser de son épouse et souhaitant détourner les soupçons eût exprimé un semblant de regret à sa disparition.
Or il était bouleversé et ne songeait qu’au tort que causerait un scandale. C’est-à-dire, au tort que cela lui causerait à lui. À en juger par ce que je venais de lire, la réputation d’Élisabeth ne lui importait pas davantage que la
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