Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
concevoir un tel piège ? Quand je pense que je vous ai fait confiance.
    Gabrielle eut un ricanement nerveux.
    — Tendre un piège ? À un petit parvenu de province ! Pensez-vous que je m’abaisse à ce point ? Il ne s’agit pas d’un piège, mais d’une épreuve. Et vous ne l’avez pas réussie, ainsi que je m’y attendais d’ailleurs.
    — Que voulez-vous dire ? Vous m’avez envoyé une putain, qui s’est d’ailleurs volatilisée dans l’atmosphère, en la faisant passer pour un modèle ! Ce n’est rien d’autre qu’une ignominie.
    — Vous prétendiez pouvoir épouser ma nièce et vous vous êtes jeté sur la première fille qui passe. Le plus plaisant c’est qu’il ne vous a fallu que trois jours pour déclarer votre flamme à une prostituée ! Vous êtes d’un grotesque, mon ami. Je dois vous dire que cette bouffonnerie m’a bien divertie. Si les auteurs de pantalonnades sont à cours de sujets, ils pourront toujours s’inspirer de votre vie. Amélie mérite mieux qu’un coureur de trottoir. Vous et votre argent ! Parce que vous portez de la soie et de la dentelle, parce que vous vous pavanez comme un fat dans les couloirs de l’Académie, vous vous imaginez que tout vous est dû.
    — Je vois bien désormais qui vous êtes, Madame. Vous avez la morgue de votre caste, mais attendez un peu que notre belle Révolution vous fasse rendre gorge.
    — Vous me menacez, vous venez m’insulter chez moi, sans même vous rendre compte que, par ce comportement dont rougirait le dernier des cochers, vous ne faites que confirmer mes craintes. Votre Révolution, dites-vous ? Elle ne vous appartient pas. Grâce à Gaspard de Virlojeux, je m’y suis abandonnée corps et âme, bien plus d’ailleurs que vous ne sauriez le faire vous-même. Ne vous retranchez donc pas derrière votre état ou derrière le mien, tout cela n’a plus cours aujourd’hui. Nous vivons des temps d’égalité… Monsieur Loisel .
    Elle avait prononcé ce nom, comme les gens de son monde apostrophaient autrefois leur perruquier ou leur laquais. Elle eut alors l’air fanatique qu’Antoine avait déjà observé, en juillet, lorsqu’elle avait pris la défense de Virlojeux.
    — Regardez donc autour de vous, tout ce luxe amassé au détriment du peuple par mon défunt mari. Avant de rencontrer Gaspard, j’étais aveugle, je vivais dans l’erreur, je ne savais pas où se trouvait le mal. Regardez donc ces meubles de prix, ces ornements d’argent ostentatoires, ces bijoux, ces statues, je les donnerai jusqu’au dernier pour servir la patrie et rendre au peuple ce qui lui revient de droit. Oui, je m’humilierai devant la Révolution comme d’autres le font devant Dieu.
    — Faites donc ce que vous voulez, Madame, et humiliez-vous suivant ce que vous dictera votre bassesse, que m’importe ! Ce n’est pas cela qui m’amène. Où est donc Amélie, je veux lui parler.
    — Mais elle , en revanche, n’a aucune envie de vous voir.
    — Pourquoi ? Ne me dites pas que vous l’avez mise au courant.
    — Au courant de quoi, de vos fornications frénétiques, de votre façon de conter fleurette aux putains ? C’est sans doute ainsi que vous servez la Révolution. Bien sûr que je lui ai tout dit, que croyez-vous ?
    Antoine ferma les yeux sous le poids de la douleur. Il sentit que son calvaire ne faisait que commencer.
    — Mais pourquoi me haïssez-vous ?
    — Vous vous accordez bien trop d’importance, mon cher. Je ne vous hais point, je vous méprise, comme tous les petits bourgeois crottés de votre espèce. Vous n’avez pas l’excuse du petit peuple, ni les manières de la noblesse, et vous n’avez pas la grandeur d’un Virlojeux, vous n’êtes rien.
    Il la fixa avec un regard débordant de haine.
    — Si je ne risquais de perdre définitivement Amélie, je vous tannerais le cuir, Madame, toute femme que vous êtes.
    La dureté de son regard la fit taire un instant. Mais elle se reprit.
    — Revoir Amélie ? Voyons, vous n’y pensez pas, vous ne la reverrez jamais… De toute manière, j’en ai assez entendu. Laissez-moi, maintenant, et ne m’obligez pas à appeler mes gens.
    Antoine la considéra une dernière fois avec mépris.
    — Rien au monde ne m’empêchera de la revoir, m’entendez-vous ?
    Il avait prononcé cette phrase sans colère, avec une détermination froide qui ébranla l’apprêt rigide de Gabrielle.
     
    Une fois à l’extérieur, il observa la fenêtre d’Amélie,

Weitere Kostenlose Bücher