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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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franchi la barrière de Senlis, il sentit cette atmosphère d’insurrection qui lui était familière depuis la prise de la Bastille. La chaleur était suffocante ; les rues puaient les immondices et les fosses d’aisance. Il entendit d’assourdissants éclats de ferraille à mesure qu’il s’approchait du cœur de Paris. Des dizaines d’ateliers forgeaient des piques, ces armes patriotiques avec lesquelles les sans-culottes prétendaient défendre la patrie. Il y en avait de toutes sortes, à feuilles de laurier, à trèfles, à carrelet, à broche, à langue de serpent, à ergot, à corne tranchante… Quelques bonnets rouges dépoitraillés s’agitaient sur le pavé. Un peu plus loin, devant une taverne, une bande de drôles à moitié ivres chantait à tue-tête la Carmagnole . La voiture d’Antoine avança lentement ; en raison d’un encombrement, elle dut s’arrêter devant la porte d’un forgeron dont l’établi envahissait une partie de la rue. L’homme, une sorte de Vulcain chauve, frappait à grands coups de marteau sur l’enclume, faisant jaillir des milliers d’étincelles rougeoyantes sous le nez d’Antoine. La sueur luisait et dégoulinait de son crâne livide avant de perler sur son cou de taureau. À ses flancs, un compagnon malingre trempait une lame chauffée à blanc dans un baquet d’eau froide.
    Recru de fatigue, Antoine acheva son périple à pied. Il embrassa longuement Amélie, puis, après avoir pris un peu de repos, lui demanda des nouvelles. Elle était allongée à ses côtés, la tête posée sur son épaule.
    — Je suis inquiète, dit-elle. Voilà des semaines que des sectionnaires menacent le roi à la barre de l’Assemblée ; les factions rêvent d’en découdre. Il y a quelques jours, j’ai vu arriver les fédérés de Marseille. Ils avaient belle allure, le torse bombé, la mine farouche et altière. Ils promenaient parfois des regards méfiants sur la foule comme des fauves qui reniflent le sable de l’arène où ils vont combattre. Mais, il y avait aussi dans leurs yeux une détermination effrayante. Au début pourtant, quand ils ont entonné leur chant de guerre, je me suis sentie rassurée, parce que je me disais, qu’avec de tels renforts, mon Antoine serait plus en sécurité et que, peut-être, cette campagne qui me vole mon mari, finirait plus vite. Et puis…
    — Et puis ?
    — Je ne sais pas. J’ai compris que les Marseillais et les Brestois n’étaient pas si pressés d’aller aux frontières, qu’ils avaient une besogne à effectuer ici avant de partir. Ils se sont vite abouchés avec les frères de Paris, et ils regardent tous vers le château. Ils ne partiront pas avant d’avoir obtenu la tête du roi. À peine arrivés en ville, ils se sont battus avec les Feuillants de la garde nationale dont ils ont tué et blessé quelques hommes. À la sortie des théâtres, dans les rues, ils maltraitent ceux qui ne portent pas la cocarde de laine ou hésitent à prôner la déchéance du roi. Aux Jacobins, les citoyens qui ne pensent pas comme eux sont dénoncés comme aristocrates. Je n’y vais même plus.
    — Et tu fais bien, je ne veux pas que tu y ailles… Je ne partirai pas d’ici avant de te savoir en sécurité. Je n’ai que deux semaines de permission. Je pourrais la prolonger un peu, mais…
    — Ne t’inquiète pas pour moi, je n’ai pas peur. Toi, tu fais la guerre, et moi, je vis dans l’attente de tes lettres. Tu n’as pas été blessé au moins ? Tu ne dis jamais rien.
    — Mais non, s’empressa de mentir Antoine. Dans le simple appareil où je suis, tu l’aurais remarqué.
    — Nigaud ! s’amusa Amélie, en lui tapant doucement le bras.
    Elle redevint sérieuse.
    — Sais-tu que Sergent fait partie du complot ?
    — Le graveur ?
    — Oui, notre ancien ami. Tu te souviens, il y a deux ans, comme nous nous entendions bien avec lui et avec Marie, sa compagne, quand nous parlions de botanique, de physique ou de peinture, et qu’elle nous montrait ses portraits ? À cette époque je la jalousais même un peu. Tout cela me paraît si loin aujourd’hui. Ils me considèrent comme une aristocrate parce que je ne passe pas mon temps à dénoncer La Fayette et le roi.
    — J’espère que tu ne parles pas de politique avec eux.
    — Non, je suis prudente. De toute façon, ils ne m’adressent plus la parole. Et puis, le comité de surveillance sait tout ce qui se passe dans la section. Ce qui m’a fait le plus

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