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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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l’intérieur avant d’abattre leurs complices de Coblence ou de Vienne. Il s’était même moqué des atermoiements pacifistes des Feuillants, ces monarchistes constitutionnels pour lesquels il n’avait pas davantage d’amitié. C’est qu’Antoine pensait naïvement que l’unique ambition des cours d’Europe était d’écraser la France, que la Révolution représentait le Bien et les autres le Mal, que les peuples opprimés par des monstres couronnés brûlaient d’acclamer les soldats de la liberté. Ce n’était pas une guerre, mais une sainte croisade.
    Fidèle à ses principes, il s’était donc engagé, après la déclaration du 20 avril 1792, et avait rejoint les volontaires du premier bataillon de Paris, formé l’été précédent au camp de Grenelle. Mais, au bout de quelques jours seulement, il était passé dans le premier régiment de chasseurs à cheval, ci-devant Alsace, commandé par M. de Noailles. Il ne se l’avouait pas franchement, mais il aimait la cavalerie, son esprit aristocratique, son élégance virile ; elle lui paraissait mieux convenir à son goût de l’autonomie et de l’isolement, notions pourtant bien relatives au milieu d’un camp de dix-huit mille hommes. Il ne nourrissait aucun mépris pour l’infanterie, mais la méfiance encore diffuse qu’il commençait à ressentir pour le genre humain le portait à préférer la compagnie immédiate des chevaux à celle des hommes. Comme son père, il les adorait ; mais il n’avait pas songé au fait que, pendant longtemps, il les verrait seulement souffrir.
    Tout se déroula au départ sous les meilleurs auspices. Il avait même eu l’honneur d’approcher le maréchal de Rochambeau, qu’il admirait comme l’un des plus valeureux officiers de la guerre d’Amérique. Et puis, en quelques heures, tout avait basculé ; la présomption s’était muée en panique et les illusions en déroute. Il avait suffi de trois coups de pistolet tirés la nuit, dans le camp de Quiévrain, pour voir détaler trois cents dragons français comme des lapins. Et la scène s’était répétée le lendemain à Quiévrechain, entraînant cette fois toute l’armée jusqu’à Valenciennes. « On nous trahit ! Sauve qui peut ! », avaient crié les fuyards épouvantés aux oreilles d’Antoine. Et de cette débandade, les Autrichiens avaient fait une parodie cruelle : « Vivre libre… ou courir. »
    Mais le Toulousain avait échappé au pire. Il n’avait pas vu les troupes de Théobald Dillon refluer en désordre depuis Tournai jusqu’à Lille. Il n’avait pas vu le corps du général irlandais démembré, puis brûlé par la foule. Il n’avait pas vu un quidam promener l’une de ses jambes à travers les rues, ni une citoyenne remuer à la baïonnette ses entrailles dans son tronc carbonisé. Il n’avait pas vu enfin la terreur des prisonniers autrichiens, que l’on avait roués de coups avant de les massacrer… Que s’était-il donc passé ? Tout avait pourtant commencé dans la plus pure tradition de l’Ancien Régime. Le ci-devant marquis de Rochambeau avait même envoyé son aide de camp à Messieurs les Autrichiens de Mons pour les prévenir courtoisement qu’on allait leur faire la guerre et qu’il serait bien fâcheux de piétiner les populations civiles. C’était cette élégance surannée que les Jacobins ultras dénonçaient comme la pire des trahisons.
    Antoine n’avait pas pu assister à la déroute de Lille, parce qu’il avait vécu celle de Mons, refluant avec l’armée jusqu’à Valenciennes au grand dam du général Biron, dont l’ancêtre avait combattu aux côtés de son cher Henri de Navarre. Mais il était reparti aussitôt vers Onnaing pour repousser l’ennemi avec les braves chasseurs d’Alsace. Ce matin-là, il avait vu clopiner un cavalier dont le cheval venait d’être tué sous lui et qui souffrait d’une douloureuse foulure à la cuisse. C’était Alexandre de Beauharnais, ancien constituant et président des Jacobins de Valenciennes. Tandis qu’il le soignait avec d’autres chasseurs, il avait reconnu dans son regard la même rage impuissante, la même honte que celles qu’il éprouvait alors. Puis il avait été blessé à son tour. Rien de grave en vérité, seulement deux ou trois côtes cassées. Il était resté cinq jours dans l’hôpital de la ville. C’est là qu’il avait entendu Rochambeau pester contre tous ces « jean-foutre » de fuyards.
    Heureusement

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