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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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jansénisme. Virlojeux l’ignorait, mais il avait rapidement compris que le prêtre était ouvert aux idées nouvelles. Antoine, quant à lui, était impressionné par ce discours. L’envolée de l’avocat ne constituait pas, à ses yeux, une attaque venimeuse contre les riches, mais la volonté légitime d’en revenir aux vrais préceptes de l’Évangile. Il y avait dans cette diatribe un aliment dont son esprit d’hérétique pouvait se repaître. Luther et Calvin n’avaient-ils pas conspué le luxe insolent du clergé catholique ?
     
    Les passagers s’étaient tus. Leurs corps gigotaient dans un demi-silence, cadencé seulement par le craquement des brancards, le grincement des essieux, les sabots rivés aux chaînes qui sonnaient la ferraille et les claquements réguliers du fouet sur la croupe des chevaux. Il faisait lourd et certains commençaient à somnoler. Antoine s’endormit. Au bout d’une demi-heure, il rouvrit les yeux, l’esprit embrumé par le sommeil ; Virlojeux, installé en face de lui, ne le vit pas s’éveiller ; il considérait un magnifique objet d’or, posé sur la paume de sa main droite. C’était une tabatière à navette, de forme ovale, d’environ quatre onces et demie. Le tour de la gorge était en argent avec un filet uni, le tout incrusté de six fleurs de nacre d’inégales longueurs. Virlojeux le manipulait avec une passion étrange dans le regard. Antoine songea qu’il s’agissait d’un souvenir, d’un objet ayant appartenu à un être cher. Mais cela n’expliquait pas l’espèce de gourmandise et même d’avidité avec laquelle l’avocat considérait son trésor.

II
    L’équipée durait depuis soixante-douze heures et les passagers causaient désormais comme de vieux amis. La promiscuité des voyages en diligence créait une familiarité éphémère. Pendant trois jours, on s’était surpris en train de bailler ou de dormir, la chemise ou la robe mal troussée, la perruque ou le couvre-chef de travers. On avait devisé sur les sujets les plus variés et partagé la même table dans de bonnes auberges. Après une promenade en solitaire à Cahors, Antoine s’était réjoui de retrouver l’abbé Renard, maître Virlojeux et même la veuve Barbeau dont les sottises et la légèreté avaient fini par l’amuser. Ce matin-là, le petit groupe quittait Argenton où il venait de passer la nuit.
    La route devenait monotone et les voyageurs sombrèrent à nouveau dans la torpeur. À la demande de Mme Barbeau, la diligence s’immobilisa soudain, projetant légèrement les passagers à l’avant de la voiture. On décida de faire une courte halte pour se dégourdir les jambes et respirer un peu d’air. L’un des postillons aida la veuve à descendre, déplia les marches, avant de grimper sur le siège d’attelage. Le bonhomme sentait l’urine séchée, le crottin et la sueur ; il avait le visage bistre, un nez rouge, épaté comme un chou-fleur, et une bouche qui fleurait le vin aigre. C’était un brave paysan qui caressait ses juments avec une expression de tendresse paternelle.
    — Faut-il beaucoup de temps avant d’atteindre Limoges, s’enquit Mme Barbeau ?
    — Nous déjeunerons ce midi à Morterolles et, ce soir, nous irons coucher à Limoges, répondit l’abbé. Il y a dans la région beaucoup de vestiges du Temple. Vous pourrez sans doute voir une église romane qui servit de chapelle à la Commanderie. Et, si le temps le permet, nous ferons une halte dans le bourg d’Arnac-la-Poste, près de l’ancienne route templière ; son église fortifiée possède des contreforts surmontés d’échauguettes et conserve un très beau reliquaire du XIII e  siècle…
    — Vous êtes bien savant, mon père, caqueta la veuve.
    — Ce ne sont là que des souvenirs de jeunesse, Madame. Je pouvais alors consacrer du temps à l’étude.
    Assis sur l’herbe, Antoine sortit de sa poche un petit carnet qu’il griffonna à l’aide d’un crayon. Il voulait restituer ce qu’il observait : non pas le paysage ni même ses compagnons, mais les deux postillons. Il les représenta en pied, posant devant leur équipage. Le premier affichait une trogne débonnaire sous son tricorne râpé. Il était enveloppé d’un gilet rouge, d’une veste galonnée d’argent et d’un pantalon moucheté de boue séchée. Il se tenait le buste renversé en arrière, le ventre imposant, presque défiant, avec sa masse graisseuse qui semblait vouloir s’extraire de

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