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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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déjà entendu quelque part…
    Les choses commencent mal, pensa Antoine en se maudissant. Une sottise de plus et il se promettait de ne plus ouvrir la bouche.
    — Ne vous inquiétez pas, on ne peut connaître tout Paris, signifia l’avocat d’un ton apaisant. Où comptez-vous loger ?
    — Un ami de mon père accepte de m’accueillir quelque temps dans sa maison, rue aux Ours. Quant à la peinture, j’ai une lettre de recommandation pour un artiste qui vit actuellement au Louvre.
    — Bien, mais si jamais vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à me rendre visite.
    — Je n’y manquerai pas.
     
    Antoine répondit poliment mais il était impatient de reprendre son croquis. L’air se rafraîchit soudain. Les voyageurs remontèrent en voiture, déçus d’écourter leur conversation champêtre. Tout en dessinant, Antoine songea aux toiles de maître qu’il allait découvrir à Paris et aux peintres de renom qu’il pourrait sans doute y rencontrer. L’invitation de Virlojeux le séduisait, mais son désir de liberté était tel qu’il hésitait encore à s’engager.

III
    Après huit jours de route, l’équipage s’arrêta enfin devant la barrière d’Italie. En attendant la visite de l’octroi, Antoine jeta quelques coups d’œil avides sur l’architecture des deux pavillons qui encadraient l’entrée. À l’extérieur, les chevaux et les hommes se tenaient immobiles, épuisés par la dernière étape. La gueule des juments était couverte de poussière et d’écume, le nez du postillon le plus gras perlait de sueur et s’empourprait comme une citrouille, tandis que le plus maigre rôtissait en silence sur le siège d’attelage. Le soleil de midi avait transformé la diligence en fournaise. À l’intérieur, dans le froissement du velours et le froufroutement de la soie, les passagers gigotaient, trépignaient et s’agaçaient, garrottés dans leurs vêtements de ville. Les cols cisaillaient les nuques, les cravates et les foulards étouffaient les poitrines, les perruques plaquaient les cheveux humides sur les crânes. Malgré la chaleur, ils s’étaient tous richement parés pour entrer dans la capitale.
    Un commis, à la mine rogue, s’approcha lentement, comme s’il voulait prolonger leur supplice. Il grommela quelques mots incompréhensibles à l’adresse des cochers, palpa les paniers débordant de paquets, qui étaient attachés à l’arrière de la voiture, puis récita la formule rituelle : « Transportez-vous quelque chose de contraire aux ordres du roi ? » Virlojeux le fixa d’un air farouche, fouilla ses poches dont il sortit un écu qu’il tendit à travers la lucarne. Le commis examina la pièce de tous côtés, détourna servilement le regard, puis ordonna l’ouverture des grilles de bois.
    Antoine avait observé la scène avec intérêt. Il voyait en Virlojeux un esprit à la fois libéral et ferme. Il appréciait ce mélange de tolérance, d’écoute et de virilité républicaines. Il distinguait même, dans les traits du plaideur, le profil mâle et sévère d’un Brutus. Mais son attention se détourna rapidement. Le peintre voulait se consacrer à la découverte de Paris. En jeune homme de vingt ans, il rêvait de tout connaître. Il se sentait submergé par l’émotion. Les promeneurs qu’il croisait, les scènes qu’il remarquait, filaient bien trop vite à son goût. Il aurait voulu les retenir pour mieux les étudier. Ce n’était que frustration, exaltation, désirs exacerbés. Au cœur de la capitale, les rues étaient encombrées d’hommes, d’animaux et de voitures. Les cochers devaient constamment beugler et jouer du fouet pour se frayer un chemin. À mesure que la diligence s’enfonçait dans la ville, la foule se faisait plus épaisse et enveloppait les voyageurs de ses bras loqueteux. La multitude devenait oppressante. Cette masse suintante, débraillée, vociférante, s’emparait des corps comme le bain bouillant du fiévreux. Pendant quelques instants, Antoine éprouva même un sentiment d’inquiétude. Dans les rues étroites, les maisons hautes se dressaient menaçantes et leur masse de pierre lézardée, plâtreuse et encrassée, ne laissait apparaître qu’un filet de ciel blanc. Au creux de cet entonnoir, les hommes et les bêtes s’amoncelaient comme des vers grouillant sur une plaie gigantesque.
    L’odeur surtout était pestilentielle. Elle prenait à la gorge, piquait âprement les narines, envahissait les bronches

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