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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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rébellion. Ils en étaient fiers ; ils le revendiquaient avec le caractère chatouilleux, libre et mutin qu’ont souvent les Occitans. Enfin, et comme pour aggraver leur cas, les Loisel ne juraient que par les philosophes, troisième marque d’infamie dont la famille se trouvait entachée.
    À Toulouse, un quarteron de dévots méprisait ces bourgeois besogneux dont l’orthodoxie leur était suspecte. On les considérait même comme des demi-étrangers. Bien sûr, personne n’osait les attaquer de front ; ils étaient trop puissants et, surtout, les temps avaient changé. Grâce à Voltaire, la période où l’on pouvait briser les os d’un Callas, au nom de la loi, semblait à jamais révolue. Désormais, clercs, nobles, grands bourgeois, se fréquentaient dans les académies où ils rimaient chaleureusement sur les souffrances de l’humanité et les bienfaits de la philosophie.
    — Joseph Loisel ? Il me semble avoir rencontré votre père au Parlement ou était-ce peut-être à l’Académie, reprit Virlojeux amicalement.
    Le visage d’Antoine s’éclaira.
    — Vous faites partie de l’académie des Jeux floraux ?
    L’avocat hocha la tête avec humilité.
    — J’ai seulement produit quelques méchants vers, je vous l’avoue, et ceux-ci n’avaient pour but que de plaire à une dame.
    L’abbé Renard esquissa un sourire un peu gêné.
    — Vous avez peut-être rencontré un de mes oncles, ajouta Antoine, avec l’enthousiasme d’un enfant, il est avocat, maître Jean Loisel.
    — Jean Loisel, Jean Loisel ? bien sûr. Ce nom m’est familier.
    — Vous êtes donc membre du barreau de Toulouse, constata l’abbé Renard. Il me semblait pourtant les connaître tous, au moins de réputation…
    — À vrai dire, je suis revenu dans le pays depuis peu de temps… J’ai vécu longtemps aux Amériques.
    — L’Amérique ? répéta Antoine, l’air radieux.
    — N’est-ce pas indiscret de vous demander dans quel but ? s’enquit l’abbé.
    — Pour y étudier les effets de la liberté, répondit Virlojeux comme s’il énonçait une évidence.
    Bien qu’il fût de nature conciliante, le prêtre catholique se renfrogna légèrement. Le peintre, en revanche, était au comble de la joie.
    — Avez-vous rencontré Washington ? demanda-t-il avec admiration.
    — Malheureusement, je n’ai pas eu cet honneur ; j’y ai vu, en revanche, de curieux sauvages dont le visage était couvert de peintures et la longue chevelure ornée de plumes.
    — On dit que les Américains se sont engoués de magnétisme animal, depuis l’équipée de M. de La Fayette, s’amusa Mme Barbeau.
    — On le dit en effet, répondit Virlojeux. J’ai remarqué du moins que leur idolâtrie pour la liberté s’accommodait parfois d’une profonde crédulité et que celle-ci n’était pas exempte de superstition.
    Antoine dévora l’avocat des yeux et ce dernier lui décocha un sourire complice.
    — Puis-je vous demander, Monsieur, votre opinion sur les états généraux que le roi a décidé de réunir et sur l’heureuse révolution entreprise par Sa Majesté ?
    — Et par M. Necker, n’oublions pas M. Necker, insista Virlojeux.
    — Personne ne peut oublier l’ange tutélaire de la France, confirma Mme Barbeau. Votre voyage à Paris a-t-il un lien avec cet événement ?
    — Eh bien, puisque vous me le demandez, oui, c’est pour cette raison que je me rends à Paris. Vous savez que l’Europe entière a les yeux braqués sur la France.
    Virlojeux se redressa alors du col et prit un ton à la fois ému et solennel.
    — Mes amis, la nation se trouve enfin réunie sous les auspices du roi, et cela pour assurer le bien de ses peuples et celui de l’État. Nous n’avions pas connu un tel bonheur depuis 1614. Les choses sont d’ailleurs fort différentes aujourd’hui. Autant que la sagesse de notre monarque bien-aimé, ce seront désormais les principes de la philosophie qui gouverneront la France.
    — Et ceux de l’Église, rajouta l’abbé Renard, ceux de l’Église…
    — Pardonnez ma fougue, mon père, elle émane d’un ami sincère de l’humanité. L’Église, bien sûr, continuera de nous guider. Mais ce doit être, il me semble, celle des premiers chrétiens, la sainte Église des va-nu-pieds, et non pas celle des calices d’argent et des carrosses dorés.
    L’abbé Renard, ancien élève des Oratoriens, avait l’esprit libéral et son orthodoxie se trouvait frottée de

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