Dans l'ombre des Lumières
Venargues.
— Tes papiers ?
— Ils sont dans ma poche.
Neyrolles les fouilla et sortit les papiers qu’il tendit au commissaire.
— M’oui, Simon Venargues… Hum ! colporteur… m’oui. M’oui… Bon, tu te moques de moi ? C’est un faux, et j’ai l’habitude d’en voir.
En vérité, l’imitation était parfaite, mais le commissaire tentait de déstabiliser l’inconnu.
— Mais non, je vous assure, je ne suis qu’un colporteur qui fait sa tournée. Voyez, j’ai laissé ma mule un peu plus bas sur le chemin, encore chargée de marchandises.
— Chantrin, tourne donc Monsieur face au soleil que je voie bien son visage à la lumière.
Daubier sortit le dessin d’Antoine de sa poche.
— C’est bien ça. La ressemblance est frappante ; elle a même quelque chose de diabolique, si ce n’était les moustaches que ce gredin a dû laisser pousser pour la circonstance… Tiens regarde donc toi-même, ajouta-t-il en montrant le dessin au prisonnier.
L’homme jeta un coup d’œil sur le portrait, mais resta impassible.
— Et tu prétends toujours t’appeler Venargues ?
— Oui.
— Allez, assez discuté, emmenez-le… Neyrolles, prends donc un des chevaux et ramène les deux gendarmes qui sont partis sur le chemin de Toulon. Nous ne serons pas assez de cinq, au cas où ce gaillard aurait des complices dans les alentours.
Neyrolles partit sur-le-champ. Daubier en profita pour observer le suspect sous toutes les coutures.
Un quart d’heure plus tard, l’agent revint avec les gendarmes. La petite troupe fut presque aussitôt rejointe par les huit policiers de la brigade qui arrivaient de Marseille. Daubier réquisitionna une seconde voiture pour se rendre à Toulon et de là, repartir vers Paris.
— Que Monsieur le vicomte de Mercœur se donne la peine de monter dans son carrosse, lança-t-il au suspect avec ironie.
Il n’était pas dans l’habitude de Daubier de galéjer ainsi pendant le service, mais la tension avait été telle depuis plusieurs jours, qu’il n’avait pu s’en empêcher. Il voulait surtout étudier la réaction du prétendu colporteur. Mais l’homme se contenta de lui lancer un regard blasé. Une fois dans la voiture, Daubier reprit sa contenance. Le suspect était assis en face de lui, les mains liées dans le dos, tenu par Chantrin.
— Alors, Monsieur le vicomte, vous finirez bien par parler. Mais peut-être préférez-vous que je vous appelle Monsieur de Virlojeux, Gaspard de Virlojeux ?
À ces mots, le suspect eut l’air surpris, puis il se replongea dans son apparente indifférence.
IV
Il serrait encore dans ses mains le billet du commissaire. Il ne parvenait toujours pas à y croire. C’était lui, le prétendu vicomte de Mercœur, et les policiers le tenaient ; ils l’avaient même encagé dans une des grandes souricières de Paris. Antoine devait encore s’en assurer. La confrontation serait difficile. Daubier l’attendait à la Conciergerie pour identifier le suspect. Et s’il s’agissait d’une méprise ? Il avait déjà prévu une telle possibilité, bien sûr, mais…
Il se rendit à la Conciergerie où il trouva Daubier. Ils causèrent quelques minutes, puis entendirent soudain un cliquetis de chaîne. Le suspect apparut au fond du couloir, entravé de ses liens et flanqué de deux gardiens.
— C’est lui, s’exclama nerveusement Antoine alors que le trio était encore à distance.
— Attendez donc un peu, fit doucement Daubier. Prenez bien le temps de le reconnaître.
Le prisonnier et ses gardiens s’arrêtèrent devant le commissaire. Depuis un moment déjà, le suspect ne quittait pas Antoine du regard. Ils se fixèrent mutuellement, le premier impassible et froid, le second, noué par la tristesse et la colère.
— C’est bien lui, fit Antoine, avec une grimace de dégoût, c’est bien l’homme que j’ai connu sous le nom de Virlojeux et qui est responsable de la mort de ma femme.
Le suspect lui lança un regard tellement glacé qu’Antoine lui-même, malgré sa fureur, ne put le soutenir.
— C’est donc toi qui m’as dénoncé, s’exclama soudain le détenu.
Il avait dit cela comme si Antoine était le meurtrier et lui la victime. Ses mots exprimaient un désir de vengeance implacable.
Antoine ne se laissa pas démonter. Il affronta de nouveau le regard du prisonnier.
— Oui, c’est moi qui t’ai dénoncé, faute de pouvoir te tuer de mes propres mains, et je suis fier de l’avoir
Weitere Kostenlose Bücher