Dans l'ombre des Lumières
jamais notre informateur vivant… Et maintenant, je vais devoir vous quitter, mais je vous promets de vous tenir informé des suites de cette affaire.
— Pour l’amour du ciel, commissaire, trouvez-le ! Mais soyez méfiant ; vous venez de le rappeler, cet homme est très dangereux.
Daubier lui adressa un léger sourire, le salua puis quitta l’hôtel.
1 - Siège du gouvernement anglais.
2 - Sous la Révolution, les Exagérés, parmi lesquels figuraient les Hébertistes, étaient pour l’essentiel membres du club des Cordeliers, administrateurs de la Commune ou du département de Paris, et se rangeaient, à la Convention, dans les rangs de la Montagne. Ils représentaient l’aile gauche, la plus radicale, du mouvement jacobin.
3 - Robespierre, suivant la terminologie thermidorienne.
III
Antoine se trouvait dans une agitation extrême, passant de l’euphorie à l’abattement le plus total. Tant de révélations et d’émotions en une seule rencontre l’avaient éprouvé au plus haut point. Il avait d’une part l’impression de toucher au but, celui de la vengeance, et de l’autre la sensation qu’après cela, Amélie serait définitivement enterrée. Et puis, la crainte que le monstre n’échappât encore une fois au châtiment le rendait fou de nervosité. Les policiers penseraient-ils à tout ? Mercœur se rendrait-il même à Toulon ? Cet homme d’une intelligence redoutable avait sans doute flairé le piège. Il ne viendrait pas, ou alors plus tard, quand personne ne l’attendrait. Non, Antoine ne devait pas y croire ; après une telle attente et tant de souffrance, la déception serait trop cruelle. Malgré tous ces raisonnements, aussi plausibles les uns que les autres, il se reprit à espérer.
Dès que Daubier eut quitté l’hôtel, Apolline vint aux nouvelles. Antoine lui révéla tout dans les moindres détails. Il le lui devait. Il promit qu’il allait changer, qu’il regrettait son comportement et qu’enfin il voulait être heureux avec elle. Si Virlojeux était arrêté, ajouta-t-il, il serait délesté d’un terrible poids. En affirmant cela, il ne se rendait même pas compte qu’il mettait déjà des conditions à leur bonheur. Apolline s’en aperçut, mais ne dit rien, trop heureuse d’entrevoir une éclaircie dans leur vie commune.
Quelques jours plus tard, Daubier demanda à Antoine de lui faire de mémoire un dessin de Virlojeux. Antoine était celui qui avait le plus longtemps approché l’imposteur, et de surcroît, il était peintre. Il se mit donc rapidement à l’ouvrage. Le portrait devait être prêt dans les trois jours. Le travail fut acharné. Antoine n’avait jamais atteint un tel niveau de concentration. Il craignait tellement d’omettre un détail ou de mal rendre l’un des traits du visage qu’il recommença peut-être vingt fois. Puis, un soir, alors qu’il venait d’achever son dernier portrait à la lueur d’une chandelle, il fut saisi d’effroi ; ce n’était plus un dessin, mais Virlojeux lui-même qui le fixait de son regard morbide.
Daubier et sa brigade arrivèrent dans le Var, trois jours avant la date prévue pour le débarquement de Mercœur ; le commissaire étudia le terrain dans les moindres détails, les routes, les sentiers vicinaux, les relais, les moyens de transport… une fois ce travail accompli, il déploya ses hommes sur la côte. Il savait que le débarquement aurait lieu de nuit, entre Toulon et le petit village de La Ciotat ; la zone était suffisamment vaste pour rendre la surveillance difficile. Mais Daubier avait pris toutes les précautions possibles ; des petits groupes d’hommes s’étaient dissimulés tout au long du parcours, tandis que des garde-côtes, déguisés en pêcheurs, croisaient le long du littoral. Le commissaire savait que Mercœur devait s’embarquer dans un petit bateau de pêche affrété par des Italiens ; l’indication était précieuse.
La nuit passa, sans aucun résultat. Quand le jour se leva enfin, on arrêta quelques tartanes, on les fouilla de fond en comble, mais toutes les perquisitions se révélèrent inutiles. Daubier en était désormais persuadé. Mercœur avait découvert le piège. Le policier maintint pourtant son dispositif en état d’alerte au cas où l’imposteur n’aurait fait que modifier la date de son voyage.
Le matin s’était donc levé et Daubier faisait nerveusement les cent pas, à l’abri d’une pinède du front de mer, quand il eut
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