De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
de jeunes soldats confrontés à une foule menaçante.
Je m’entretiens à ce sujet avec un général, camarade de guerre de la France Libre, membre de l’état-major particulier. Comme je lui fais valoir que la France, tout en dépensant des sommes considérables pour la dissuasion nucléaire, risque de succomber à la subversion intérieure, il me répond :
— L’armée, étant le dernier ciment de la nation, ne peut prendre parti lorsque le pouvoir politique s’abandonne.
Il est de fait qu’à l’Élysée, nous vivons une atmosphère de fin de règne.
On conviendra que la menace de l’URSS sur l’Europe occidentale et la France posait le grave problème du recours à l’armée. Je l’avais résolu pour ma part en étant partisan de son utilisation dans des conditions particulières comme la garde des bâtiments publics et le fonctionnement des grandes entreprises nationalisées telle Électricité de France. Cela fut fait par Jules Moch en 1947, alors ministre socialiste de l’Intérieur, pour maintenir en service les centrales thermoélectriques armées par des marins appelés en renfort des non-grévistes.
À noter, pour étayer le propos de mon camarade, qu’en 1970 Boissieu confiera à mon collègue aide de camp, le colonel d’Escrienne, qu’« on avait trompé le Général en lui disant qu’il ne pouvait compter sur l’armée, qu’au mieux elle resterait neutre ».
Il est évident que de Gaulle ne peut se satisfaire de réticences. Cela explique pour une part qu’il s’apprête à se rendre chez le général Massu pour sonder les reins et les coeurs [5] .
1 -
Dans le projet de loi soumis à référendum, le 27 avril 1969, de Gaulle reprit son idée de confier l’intérim au Premier ministre. 52,41 % répondirent « non », comme on sait, à ce référendum, ce qui entraîna la démission immédiate du Général.
2 -
Respectivement : Georges Pompidou, Maurice Couve de Murville, Christian Fouchet.
3 -
Ayant décollé de Bucarest à 18 h 10 (GMT), l’avion atterrit à Orly à 22 h 35 (GMT+1) où le Premier ministre, Georges Pompidou, attend le président de la République qu’il accompagne à l’Élysée.
4 -
Qui s’y sont peut-être prêtés.
5 -
Le général Massu commande les Forces Françaises d’Allemagne de son PC, à Baden-Baden.
Le voyage à Baden-Baden
Bernard Tricot, secrétaire général de l’Élysée, a perçu un changement dans l’attitude du président de la République. Il le confie à Frédéric Grendel, fidèle gaulliste et journaliste :
— À mon avis, le Général va tenter quelque chose. Quoi ? Je ne saurais le dire. Il a compris que la France lui échappait et qu’il ne pouvait la retrouver par les voies ordinaires. Alors il va sans doute dramatiser pour amener les Français à se ressaisir [1] .
De Gaulle est fatigué ; il ne dort pas depuis plusieurs nuits. Cependant, il a son plan secret, fondé sur l’idée qu’un palais vide ne se prend pas et que l’État sera avec lui partout où il se trouvera sur le territoire national.
Le mardi 28, il reçoit plusieurs visiteurs dont Georges Pompidou, le général Fourquet, chef d’état-major des armées, puis, après dîner, Christian Fouchet. Il insiste auprès du Premier ministre pour que le gouvernement organise le référendum qu’il a annoncé le 24. Pompidou préconise des élections générales. L’opinion les comprendrait et les accepterait, alors que l’opposition tient le référendum sur le sujet annoncé pour anticonstitutionnel. D’ailleurs, le Conseil d’État s’apprête à condamner le texte qui lui a été soumis.
À Christian Fouchet, de Gaulle demande que les forces de l’ordre restent maîtresses du terrain, quoi qu’il arrive.
— Oui, répond Fouchet, à condition que l’on puisse recourir au feu.
— Oh, vous savez, rétorque de Gaulle, le feu ne me fait pas peur. Ne soyez pas obnubilé par la crainte d’y avoir recours [2] .
Ce faisant, il couvre et encourage son ministre de l’Intérieur qu’il sait être, depuis le début, inhibé par l’angoisse qu’il y ait mort d’homme.
Il a aussi reçu son fils. Une première fois, le dimanche 19, lorsque celui-ci est venu déjeuner en famille chez ses parents.
Alors que le Général a regagné son bureau, mon camarade me demande à être reçu par lui.
— Mais tu viens de déjeuner avec lui !
— Oui, mais je ne peux jamais lui parler sérieusement dans ces
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