De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
maussades.
Curieusement, la France officielle ronronne ; elle ne sait pas que les mécontentements s’accumulent. Au gouvernement, tous les ministres ignorent que les travailleurs grondent de n’avoir pas eu leur juste part de l’expansion des années passées. Dans l’Université, où la vague démographique de l’après-guerre a été absorbée jusques et y compris dans l’enseignement supérieur, nul ne soupçonne l’inquiétude de la jeunesse quant à son avenir. Cette inquiétude est amplifiée par la crise psychologique sans précédent qui l’agite dans le monde.
Le journal Le Monde expose – pour le déplorer ainsi qu’à son habitude – la facilité avec laquelle la France absorbe la dernière phase du Marché commun. Dans ce même journal, Viansson-Ponté prétend que « la France s’ennuie » ; il reprend les paroles de Lamartine à Mâcon, dans la « Campagne des banquets », à la veille de la révolution de 1848 !
Le Général lui-même me dit, le 28 avril au soir :
— Cela ne m’amuse plus beaucoup ; il n’y a plus rien de difficile, ni d’héroïque à faire.
Comme je remarque qu’il y aura toujours des circonstances qui nécessiteront l’engagement de véritables chefs, il me rétorque :
— Il y en aura encore, mais elles ne seront pas pour moi.
Pourtant, depuis l’été de 1967, l’activité et le climat de l’Assemblée nationale ont pris un tour plus conforme aux goûts et aspirations des parlementaires et des journalistes. En critiquant « l’exercice solitaire du pouvoir » – en réponse à « Vive le Québec libre » –, Valéry Giscard d’Estaing, soutenu par les Républicains indépendants, détériore sensiblement la position de la majorité. Tout récemment, le 23 avril, Nanterre a été le théâtre de bagarres sanglantes entre étudiants. Les responsables de l’université les attribuent au mauvais fonctionnement de ce campus de banlieue ; le recteur Roche m’assure même qu’elles ne s’étendront pas ailleurs !
Toutes ces prévisions optimistes sont rapidement démenties par l’agitation qui se généralise si vite dans l’enseignement supérieur que le gouvernement intérimaire de Louis Joxe décide de fermer la Sorbonne. Le 6 mai, la première nuit d’émeute éclate au Quartier latin et, entre le 10 et le 11, c’est la « nuit des barricades ».
Dès le 10 mai, le Général s’inquiète du laxisme du gouvernement. Il convoque Christian Fouchet, ministre de l’Intérieur, lui demandant d’interdire la manifestation annoncée la veille par l’Unef. Fouchet, dont le siège a été fait par le préfet de police, Maurice Grimaud, convainc le président des graves inconvénients de la mesure préconisée. Il craint en effet qu’elle n’entraîne la mort d’un ou de plusieurs étudiants, à quoi, selon lui, le régime ne survivrait pas. De Gaulle cède à contrecoeur, lui qui, depuis le début des événements, n’a cessé d’appeler le gouvernement à la fermeté.
Mais Fouchet ne veut pas avoir de sang sur les mains. Quant à Grimaud, qui écrira plus tard En mai, fais ce qu’il te plaît , il est, selon Pierre Lefranc, « plus compréhensif de la lutte des étudiants que des nécessités de l’ordre dans l’État ».
Ce 10 mai, au soir, dix mille manifestants se rassemblent place Denfert-Rochereau et, descendant le boulevard Saint-Michel, commencent à ériger des barricades, dépavant les rues, coupant les arbres à la tronçonneuse, y accumulant les automobiles.
La nuit du 10 au 11 mai est vraiment la grande « nuit des barricades ». Entre minuit et 5 heures se déroulent de véritables batailles de rue. L’ordre de réduire les étudiants qui se conduisent désormais en insurgés n’est donné, trop tardivement, qu’à 2 h 10 par le Premier ministre intérimaire, Louis Joxe, universitaire d’origine lui aussi.
À 5 h 30, la dernière barricade est enlevée par les forces de l’ordre. Le bilan de la nuit est lourd : trois cent soixante-seize blessés dont un tiers parmi la police, plus de cinq cents arrestations, plus de cent automobiles incendiées. Six étudiants pris en flagrant délit sont arrêtés et incarcérés.
Après la folie de la nuit, le samedi 11 au matin, le climat dans Paris est presque partout à la détente. Ici et là, des pourparlers s’ébauchent entre les autorités universitaires et les révoltés.
Depuis le 2 mai, Georges Pompidou est en voyage officiel
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