De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
Sorbonne le lendemain, de protéger l’ORTF et de n’employer pour l’information que des éléments vraiment sûrs ».
J’ignore si ces injonctions ont jamais été transmises à leurs destinataires – le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Information –, toujours est-il que rien n’est entrepris pour contrôler les bâtiments publics en question.
En fait, à cause de la délégation de pouvoir du Premier ministre et aussi des circonstances qui nécessitaient l’unité d’action, la puissance de Matignon s’est beaucoup accrue durant l’absence du Général en Roumanie ; Pompidou a pris l’habitude de tout faire converger sur lui, écartant ainsi de la connaissance de la situation et d’une action éventuelle, non seulement l’Élysée et la plupart des ministères [4] , mais de Gaulle lui-même à son retour. Le Général s’en plaint :
— Le gouvernement donne des ordres et ne m’en rend pas compte. Je donne des ordres qu’il n’exécute pas !
Son retour n’a pas redressé la situation, pas plus que le discours radiotélévisé qui tombe à faux, prononcé d’ailleurs (« On y voit, déclare-t-il, les signes qui démontrent la nécessité d’une mutation de notre société… ») d’un ton désabusé ; le Général apparaît vieilli. Se regardant après l’enregistrement, il déclare avoir « mis à côté de la plaque ».
Entre-temps, par l’intermédiaire de Jacques Chirac, Georges Pompidou a réussi à nouer les fils avec les syndicats. Fait significatif, Michel Debré, ministre de l’Économie et des Finances, est délibérément exclu, par Georges Pompidou, d’une négociation pourtant au coeur de ses attributions.
Les négociations de Grenelle commencent le samedi 25 en présence de Georges Pompidou venu avec son stylo pour signer l’augmentation, quelle qu’elle soit, du SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti). Le lundi matin l’accord est signé : il prévoit une augmentation du SMIG de 45 %. Satisfait, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, déclare au Premier ministre :
— Demain la France entière sera au travail.
C’est compter sans les ouvriers de Renault à Billancourt. Venu leur faire part de ce qu’il considère comme une avancée majeure, Séguy se fait huer par les trotskystes et anarchistes de tout poil. Du coup la stratégie de Pompidou s’effondre, les syndicats sont désavoués, les politiques prennent le relais. Dès le lundi 27, Mendès France apporte la caution de sa présence à la manifestation organisée par l’Unef au stade Charléty. Le lendemain, dans sa conférence de presse, François Mitterrand annonce qu’il sera candidat à la présidence de la République, et Mendès France son Premier ministre, lançant ainsi la curée sur l’État.
À Matignon, certains conseillers n’hésitent pas à déclarer publiquement : « Il faut se débarrasser du vieux c… », ce qui en dit long sur l’atmosphère qui y règne.
L’Élysée, qui n’embraye plus sur rien depuis quelques jours, vit dans une atmosphère de fin de règne. D’autant que la CGT appelle pour le mercredi à une manifestation de masse de l’Hôtel de Ville à Saint-Lazare. Ce trajet inusité est une menace réelle pour la sécurité du palais présidentiel, puisque la dislocation du cortège se fera entre Saint-Lazare et l’Opéra, un quartier proche de l’Élysée. Que va faire le Général ? La menace est double : les communistes ont-ils l’intention d’installer une nouvelle Commune à Paris et donc d’occuper l’Élysée ?
Cette annonce conforte de Gaulle dans le bien-fondé de la décision qu’il a déjà prise de quitter Paris. Il ne veut pas être contraint de faire tirer sur les manifestants. Il sait qu’un palais vide ne se prend pas, que l’État se trouvera avec lui partout où il sera sur le territoire national.
La menace sur l’État est directe, non dissimulée. Pompidou ne s’y trompe pas. D’accord avec le Général, il met en place un dispositif militaire auquel les deux hommes s’étaient jusqu’alors refusés. Des unités blindées sont rapprochées de Paris et certains bâtiments publics placés sous la garde de l’armée.
L’hypothèse du recours à la force armée a été étudiée, mais le Général reste très réservé quant à son utilisation. D’ailleurs, les grands chefs militaires n’y sont pas favorables, craignant les réactions incontrôlables
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