De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
circonstances.
Je transmets donc sa demande à son père lequel, après un instant d’hésitation, me dit de le faire entrer.
En sortant, mon camarade me fait ce commentaire :
— Évidemment, mon père est fatigué. Il y a l’âge et puis il ne dort pas ou peu ; mais il m’a assuré qu’il ne lâcherait pas.
Il le revoit le lundi 27 après dîner. Il me confie, en partie, ce qui s’est passé. Il n’a pas caché à son père qu’il estime son règne terminé mais qu’il ne peut laisser le champ libre aux communistes et aux trotskystes. Il est opposé à ce que son père se rende à Colombey pour se reposer car cela apparaîtrait à l’opinion comme un week-end ordinaire, sans effet de choc sur elle. Il préconise que le Général se rende à Brest sous la sauvegarde de la Marine [3] . De son entretien, il résulte que le Général entend quitter Paris et voir Massu.
Durant toute la journée du mardi 28, de Gaulle mûrit son plan sans en faire part à quiconque. À 17 h 30, il convoque son gendre – qui commande à Mulhouse – pour le lendemain matin, mercredi 29.
D’Escrienne se souvient parfaitement que Boissieu lui a téléphoné dans la soirée pour lui confirmer qu’il serait bien le lendemain à l’Élysée aux alentours de 10 heures.
Pour de Gaulle, agir est d’autant plus urgent que sa femme ne supporte plus l’Élysée. Dans l’après-midi, sa voiture étant bloquée dans un embouteillage, elle a été prise à parti et insultée grossièrement par un automobiliste ayant toutes les apparences d’un bourgeois bon teint.
Mme de Gaulle n’en peut vraiment plus de toutes ces tensions nerveuses. Au dîner, elle craque littéralement, au point qu’abandonnant la salle à manger, le Général fait servir le repas dans le salon jouxtant la chambre à coucher.
Il est probable qu’à tous les griefs que Mme de Gaulle accumule contre l’Élysée s’ajoute son inquiétude concernant la situation de son fils et de sa famille, dont elle sait l’immeuble gardé par un piquet de grève, car un PDG important y habite aussi.
Ce mercredi 29, le président est dans son bureau à 7 heures, plus tôt qu’à l’accoutumée. Il reçoit son directeur de cabinet, Xavier de La Chevalerie puis, à 9 h 15, Bernard Tricot. Il les informe qu’il va prendre une nuit de repos à Colombey et charge le secrétaire général d’informer le Premier ministre du report au lendemain après-midi, à la même heure, du Conseil des ministres. Il reçoit ensuite le général Lalande, chef d’état-major particulier.
Aussitôt après, il ordonne à mon collègue aide de camp, le commandant aviateur Pierre Tallon, de faire mettre les hélicoptères en attente à l’héliport d’Issy-les-Moulineaux. Ceci est exécuté suivant la procédure normale par l’état-major particulier afin de n’éveiller aucun soupçon.
Comme je ne suis pas de service, j’en profite pour faire mes courses dans le quartier de l’avenue de Suffren en prévision du dîner programmé depuis longtemps que je dois donner le soir même et que ma femme, bloquée au domicile toulonnais de son père par la grève des chemins de fer, m’a recommandé de maintenir.
Rentrant à 10 heures à mon domicile, au moment où j’introduis la clé dans la serrure, j’entends le téléphone sonner. Je me précipite.
— Allô, Flohic, ici d’Escrienne. Voici une demi-heure que je cherche à vous joindre. Le Général vous demande, en uniforme, avec un bagage pour la campagne. Quand serez-vous prêt ?
— Instantanément. Envoyez-moi une voiture. Je serai prêt.
La demande d’être en uniforme pour la campagne a retenti en moi comme un déclic d’urgence, les aides de camp ayant toujours accompagné en civil le Général à sa demeure.
Ma valise est bouclée à la hâte. Quant aux provisions que je viens d’acheter, j’ai dit à ma femme de service, médusée, de les donner à mes amis dans l’immeuble. Je lui remets de l’argent d’avance et lui demande de coucher dans mon appartement.
À 10 h 30, je suis dans le bureau des aides de camp. Sans même saluer mes collègues, je veux me précipiter dans le bureau du président de la République. J’ai à peine la main sur la poignée de la porte que mes camarades m’arrêtent en me disant que Boissieu s’y trouve.
Je ronge mon frein en comptant les minutes. Cette attente me permet d’apprendre un certain nombre de faits, dont la présence en alerte des
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