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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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d’avance. Tu peux couper tes cheveux et te raser la barbe autant que tu le souhaites, tu ne travestiras jamais ta façon de penser et d’agir.
    Il ajusta l’étau afin qu’il serrât davantage le crâne de Bénédict. Celui-ci retint un hurlement.
    — Tes amis à Rome ont mis le feu à ta boutique de la via delli Giudei. Tes documents m’ont échappé. Vois… Je n’ai pu récupérer que cela…
    Il leva le bras et montra l’enseigne de Bénédict Gui.
    — « Bénédict Gui a réponse à tout. » Je déteste cette formule. L’Église, Bénédict, l’Église a réponse à tout !
    Il fit un signe et un gaillard au visage masqué se saisit de l’enseigne et la fixa au plafond, à la place du crucifix en bois qui surplombait Bénédict.
    — Voilà l’unique chose que tu verras d’ici, et de quoi t’occuper les pensées pour les prochaines heures, reprit Bazan.
    Sa voix se fit chantante :
    — Rassure-toi, il n’est plus question de te tourmenter avec broches et tenailles, ni de te faire parler. À ton parcours, je devine ce que tu as pu apprendre, ce qui compte pour moi, à présent, c’est de te faire oublier ce que tu sais. Rainerio, Rasmussen, Chênedollé, les enfants miraculeux… Tout cela doit disparaître !
    Bénédict fronça les sourcils.
    — Oublier ? murmura-t-il.
    Fauvel approuva de la tête.
    — Matteoli Flo est depuis longtemps passé maître en la matière : la restriction mentale, effacer d’une mémoire ce qui s’y trouve de compromettant pour tel ou tel. Comment ? Un peu d’eau froide et une attention constante suffisent. Cinq jours consécutifs sans sommeil, Bénédict Gui. Peut-être six, au besoin. Voilà le plus sûr moyen de rendre un homme amnésique et fou.
    Il sourit de nouveau et s’approcha pour lui susurrer à l’oreille :
    — Ton esprit, si vanté par les gens, si brillant, va mollement, inéluctablement, irrévocablement perdre toute consistance. Tu le sais ; à la centième heure de veille, ton cerveau aura subi tant de lésions que tu en auras perdu la mémoire, la parole, la vue, la capacité de marcher, tu seras entré dans un long délire qui ne te quittera plus…
    — Pourquoi ne pas me tuer tout de suite ?
    Fauvel de Bazan se redressa.
    — Oh, tu mourras. N’en doute pas. Mais sur un bûcher, cerné par une foule qui te conspuera pour la mort du cardinal Rasmussen et de quelques autres que nous aurons à cœur de te faire endosser. Tu vois, Bénédict Gui, tu voulais avoir le dernier mot de cette histoire… Eh bien, tu en seras le dernier mot ! Belle revanche : anéantir Bénédict Gui par là même où il était invulnérable. Sa tête !
    Il lui enfonça une poire d’angoisse dans la bouche et quitta la crypte.
    Bénédict avait parfaitement saisi ce qui l’attendait et les dangers pour sa constitution mentale. Plus d’une fois, après une nuit de veille, il avait surpris son esprit se ralentir, sa concentration le fuir.
    « Cinq nuits !…»
    Après le départ de Bazan, il perçut deux personnes qui l’entouraient dans la cellule, mais sans pouvoir distinguer leurs visages.
    Il contempla son enseigne. Combien d’heures avant que le sens de cette simple phrase lui échappe ? Combien d’heures avant qu’il se demande qui est Bénédict Gui qui a réponse à tout ? Combien d’heures avant qu’il ne soit plus même capable de lire ?
    Lui qui avait tant appris, qui pouvait réciter par cœur des œuvres entières de Boèce et des pans de La Navigation de saint Brendan , n’aurait bientôt plus que les capacités de réciter les trois premières lettres de l’alphabet…
    Ordo disciplinae.
    Toute sa vie il avait appris à réfléchir, à combiner des faits, à dresser des plans, à mémoriser des indices, à percer des énigmes.
    Ordo disciplinae.
    Ç’avait été sa devise. Elle devait rester, en ce moment, plus que jamais.
    Il était seul, le corps invalidé, prisonnier de son cerveau, ce « monde entre ses deux oreilles » qui fascinait tant les Romains. Son cerveau. Son seul allié. Son arme.
    Les événements de ces derniers temps, depuis la venue de la jeune Zapetta jusqu’à son arrestation chez Moccha, se pressaient dans sa mémoire, traînant avec eux un goût amer d’inachèvement.
    Il réfléchit à la dernière fois où il avait dormi. C’était à l’auberge de Pozzo, la veille de son retour à Rome. Et il ignorait le temps qu’avait duré son évanouissement entre le palais du cardinal et

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