Délivrez-nous du mal
d’âme »…
À personne elle n’avait osé s’ouvrir de ses sentiments vis-à-vis de Perrot.
« Ils ne se rendent pas compte de ce qu’il est véritablement…»
Cet enfant guérisseur de Cantimpré lui faisait vraiment peur.
On frappa à sa porte.
L’abbé Profuturus la faisait appeler, ainsi que son père, afin qu’ils vissent, pour la première fois, les cinq enfants en action.
Elle se prépara.
Au sortir de sa chambre, deux gardes en noir vinrent à sa rencontre.
Ils lui présentèrent la « clef » du père Aba, l’octogone de bois de l’homme d’Até tué à Castelginaux.
— Elle a été remise ce matin par un des gardes qui accompagnaient Monseigneur de Broca depuis Rome, dit l’un d’eux.
Até l’observa avec surprise.
— C’est impossible. Cette recrue est morte depuis des semaines dans le Toulousain et nous n’avons pas pu récupérer son corps…
Elle fronça les sourcils :
— Retrouvez l’homme qui s’en est servi.
Até partit rejoindre Artémidore de Broca et l’abbé Profuturus.
Le père Aba laissait Arthuis de Beaune et la vaste salle des établis d’étude.
Il ne pouvait s’empêcher d’essayer de jeter des ponts entre les révélations du grand homme et l’enlèvement de son fils. Guérisseur, amené au monastère de Cantimpré afin d’être étudié, comme la clavicule de saint Benoît à Padoue ou toute autre anomalie de la nature ?
Il se retrouva dans les cloîtres du monastère.
Déconcerté.
Depuis la naissance de Perrot, il ne se passait pas de jour sans qu’il s’inquiète de découvrir une personne ou un endroit qui pût être en mesure de lui expliquer ce qui arrivait à son fils, qui pourrait le protéger, lui enseigner à vivre avec cette extraordinaire anomalie, ou, mieux encore, l’aider à s’en défaire.
« En définitive, et si le monastère Albert-le-Grand était cet emplacement rêvé ? »
La présence d’un personnage aussi révéré qu’Arthuis de Beaune lui peignait d’une nouvelle couleur ces remparts.
Mais soudain il cessa de réfléchir :
Il venait d’entendre parler des enfants !
Il virevolta, regarda partout, sentit son cœur s’emballer.
Il courut à moitié pour rejoindre l’autre versant de la galerie ouverte.
À l’oreille, il sentait qu’il approchait.
Les voix cristallines se faisaient de plus en plus distinctes.
Brusquement, il s’interrompit : il aperçut une troupe d’enfants, entourée de gardes et de moines, qu’on conduisait dans le jardin du cloître voisin.
Il cessa de respirer.
Les cinq enfants, qu’il voyait de dos, étaient vêtus du même manteau et du même capuchon, aussi était-il impossible de déterminer la présence ou non de Perrot.
Le père Aba allait s’élancer pour en avoir le cœur net lorsqu’il sentit, par-derrière, deux paires de mains lui agripper les épaules.
Il reçut un coup au foie ; ses reins plièrent. Ses yeux se voilèrent et ce fut au travers des larmes qu’il assista à la disparition des enfants derrière un pilier…
Il fut traîné.
Le monde vacillait autour de lui, le ciel, les remparts du monastère, les silhouettes mal découpées de ses agresseurs, un mélange de tournis et de terreur. L’excitation, la colère, le dépit, tout le rendait fou.
Ses assaillants le levèrent et le renversèrent aussitôt : Aba eut le visage plongé dans une eau glacée.
Il voulut se débattre, mais restait retenu jusqu’au cou sous la surface.
Il songea aux fontaines jaillissantes qu’il avait vues au milieu des jardins.
Deux bras lui pressèrent le ventre et sous la brutalité du soulèvement, ses poumons se vidèrent d’un trait.
Son œil valide commençait de le brûler au contact de l’eau froide, l’orbite creuse droite était submergée, les ligaments de la gorge lui saillaient comme des lames de couteau, il sentait ses tempes vrombir, l’eau lui emplir la bouche par les narines, ses poumons se tordre sous la souffrance…
Il fournit un ultime effort pour se libérer de ses assaillants. Mais la force de lutter commençait à le fuir ; son corps se contractait sous le manque d’oxygène, sentait ses fluides se changer en poisons, réclamait de l’air.
Le prêtre recevait coup sur coup. Son œil s’injecta de sang, un voile rouge passa, lumineux, presque aveuglant ; puis ce fut la nuit.
Dans un instant de lucidité, il se dit qu’il quitterait ce monastère par la trappe de fer aux cadavres entrevue le jour de son
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