Délivrez-nous du mal
décent.
« Selon les dires de sa veuve, Chênedollé était un marchand banquier qui faisait crédit au Latran. Inquiet de l’élection d’un nouveau pape, il avait réclamé des sommes non-recouvrées, et voilà qu’il s’alarmait, craignant pour sa vie et qu’il décidait avec sa femme de quitter Rome ! En dépit de leur palais en construction…
« Mais quel lien avec Rainerio ?
« Un marchand banquier et l’assistant d’un Promoteur de Justice ?
« Pourquoi, dans son texte codé, Chênedollé reste-t-il aussi énigmatique ? En dit-il si peu ? »
Suivez la piste de Rainerio.
« Hormis évoquer les quatre cardinaux déjà assassinés et ajouter à la liste les noms de Rasmussen et de son assistant, il ne dévoile rien.
« Pourquoi a-t-il incité Zapetta à venir me voir ? »
Bénédict se figea.
« Moccha ! »
Il se remémora son palais, les enfants qui couraient, les femmes, son cabinet, les lutrins de livres de poètes, le buste grec derrière l’écritoire…
Quelque chose n’allait pas.
« Anacréon ! »
Gui s’aperçut que, influencé par la démarche des textes chiffrés de Chênedollé, il s’était efforcé de décoder ses écrits mais avait omis d’écouter attentivement ses paroles !
« Le buste dans le cabinet de Moccha était celui d’Anacréon ! Ses femmes, ses enfants, la poésie grecque, la jolie persane aux yeux verts… En parlant de lui, Chênedollé me décrivait Moccha ! Il voulait me mettre sur sa piste !…
« Il ne le cite nulle part, pas même dans son texte codé, pour être certain de ne jamais risquer de le compromettre… « Moccha était son allié ! Et je ne l’ai pas vu ! « Mes amis ont confiance en moi … a-t-il répété à plusieurs reprises. » Là résidait le véritable message clef ! « Si je m’étais ouvert à Moccha à temps, il m’aurait éclairé… Peut-être même savait-il ce qu’il est advenu de Rainerio…»
Bénédict Gui se trouva seul face à deux interrogations majeures :
« Qu’ai-je manqué d’autre parmi les indices de Maxime de Chênedollé ? » Et surtout :
« Pourquoi moi ? Pourquoi ce marchand banquier, riche et puissant, pourquoi pense-t-il à moi ? Comment croit-il qu’en me dotant de si peu d’éléments, je trouverai le fin mot de l’énigme ?
« Les femmes… l’argent… la trahison… Rien n’est jamais ce que l'on croit … avaient été ses dernières paroles. » Réfléchis …
C HAPITRE 16
Une porte de fer s’élargit sous la poussée de deux moines ; Artémidore, l’abbé Profuturus et Até pénétrèrent dans la pièce.
La jeune femme soutenait son père. En entrant, elle découvrit une chambre de chirurgie ; les murs étaient garnis de bocaux de verre remplis d’organes immergés dans une solution laiteuse. Certains avaient été réduits en tranches, cuits par le liquide de conservation. D’autres, des cerveaux, un sein rongé par le cancer, un pancréas, des embryons, des vessies déshydratées, ressemblaient à des tubercules.
Sur un chevalet, des croquis révélaient l’anatomie humaine des deux sexes.
— Nous récupérons les corps des condamnés à mort afin de nous en servir de modèle, expliqua Profuturus à Até. Les dépouilles sont jetées hors du monastère. Il n’est pas question de profaner notre cimetière avec des damnés exclus du Ciel.
Au milieu de la salle trônait un sarcophage de bois clair, fermé, posé sur quatre pieds. Deux vasques de cire plantées chacune de trois petites mèches enflammées répandaient sous le cercueil une mince fumée qui l’enveloppait, avant d’être aspirée par une ouverture grillagée dans le plafond. Cette colonne de fumée, tourbillonnante comme une vis sans fin, avait quelque chose de maléfique et d’inquiétant.
Quatre moines vêtus de blanc, têtes couvertes, attendaient immobiles, prompts à répondre aux ordres.
Artémidore prit le contrôle des opérations. Il fit ouvrir un ouvrage posé sur un lutrin, le Livre des offices des esprits de Salomon, et invita l’un des moines à se préparer à la lecture.
— Ce sont les incantations pour la Résurrection des morts retranscrites de la main de Salomon, expliqua-t-il à Até, prises sous la dictée des démons par le roi juif, dix siècles avant notre ère. Voilà des générations et des générations que des profanes consultent ces formules sans savoir comment les exécuter. Hormis quelques sorcières vouées au secret, et
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