Délivrez-nous du mal
sa sœur.
Le chef de la bande secoua la tête :
— Ces derniers jours, le fleuve ne nous a offert qu’un soldat du Latran, une femme aux habits déchirés et au visage bleui de coups, et un nouveau-né dont on avait arraché le cordon ombilical, sans doute pour confectionner un philtre. Rien qui corresponde à ton garçon. Cette nuit, nous avons levé ces quatre imbéciles-là…
Il montra les cadavres.
— L’ivresse les a noyés.
Rien n’arrêtait les Laveurs, pas même les eaux glacées ; ils plongeaient, leurs crochets à la main, et récupéraient les corps.
Bénédict ne savait s’il devait se réjouir de ne pas retrouver ici la dépouille de Rainerio. C’eût été une fin prévisible.
— Si vous repêchiez mon homme, dit-il, avertissez-moi.
— Ce sera fait.
Le chef de bande savait Bénédict au mieux avec les juges de la ville. Depuis deux ans, leur entraide avait porté ses fruits, d’un côté comme de l’autre.
Gui le remercia et retourna dans les rues de Rome.
Après avoir visité le Crime, Bénédict alla visiter la Loi.
Il se présenta à la caserne des gardes de la Ville avec l’intention de questionner Marco degli Miro, le chef de la police romaine.
Marco degli Miro devait trois résolutions d’importantes énigmes à la circonspection intelligente de Gui. Et Gui fut une fois tiré de prison par Miro après une enquête qui avait irrité un prince de l’Église. De gré à gré, les deux hommes avaient trouvé un terrain d’entente et avaient même fraternisé.
À la caserne il lui fut répondu que le chef de la police était absent, mais Bénédict, habitué des murs, fut autorisé à visiter les cellules souterraines de prisonniers.
Point de trace de Rainerio.
Il demanda alors si deux gardes n’avaient pas été envoyés, six jours plus tôt, via Regina Fausta afin d’arrêter ou d’interroger un jeune homme du nom de Rainerio, travaillant au Latran.
Les registres lui apprirent qu’il n’en avait rien été : les deux hommes aperçus par Zapetta avant la disparition de son frère n’appartenaient pas aux effectifs de Marco degli Miro.
Bénédict quitta la caserne et s’arrêta via del Macellaio près d’un abreuvoir public où piétinaient des équipages de mules. Il lança à un meneur d’attelage :
— À l’église Sant’Elena, piazza Constantino !
En dépit de la permanente bousculade des rues, il y fut rendu un quart d’heure plus tard.
L’état de l’église Sant’Elena, consacrée au X e siècle, était piteux : son portail avait été condamné par de puissantes planches transversales, sa flèche était émoussée, les cloches, ainsi que le tabernacle et la table de l’hostie avaient été transférés dans un autre lieu de culte.
Cette maison de Dieu n’était plus fréquentée depuis cinq ans. Les risques d’éboulement sous le chœur avaient été considérés comme trop grands.
Bénédict Gui contourna le corps principal pour entrer par une petite porte de bois branlante couronnée d’une croix en fer.
À l’intérieur, les piliers avaient verdi sous les infiltrations d’eau, des champignons croissaient comme des chapelets le long des rainures du dallage. Dans les coins de la nef, protégés des courants d’air glacés, dormaient plusieurs groupes de clochards.
Bénédict appela :
— Père Cecchilleli ?
Sa voix résonna. Deux corneilles battirent des ailes et disparurent par une brèche dans les vitraux.
À hauteur du jubé, Bénédict rejoignit une poterne qui conduisait à la sacristie.
— Père Cecchilleli ? répéta-t-il d’une voix moins forte.
L’homme qui apparut à l’appel de son nom tenait une bougie d’un bras tremblant. Il était vieux, le crâne chenu, la peau ridée, le dos à moitié ployé sous une couverture grasse et poussiéreuse.
Il cligna de l’œil, hagard, avant de reconnaître Gui.
— Bénédict ?
Gui considéra le vieillard avec tristesse.
« Qui pourrait croire qu’il y a trois ans ce personnage était encore l’un des cardinaux les plus éminents de Rome ? »
Francesco Cecchilleli de Ravenne avait siégé sa vie durant aux côtés des membres du conseil du pape. Sa carrière dans l’Église était citée en exemple. Sa chute fut d’autant plus retentissante qu’elle était inattendue.
Le cardinal avait réussi à mettre au jour un trafic de fausse monnaie frappée du monogramme des papes et dont la fabrique se tenait à quelques pas du Latran.
Il le
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