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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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leurs disparitions.
    Le frère Janvier, qui l’avait débarrassé de son œil mort, lui avait retiré les fils cousus par le barbier de Cantimpré et fourni plusieurs bandeaux de tissu noir de rechange en lui prescrivant de ne jamais laisser son orbite à l’air. Le père Aba devrait attendre quelques semaines de cicatrisation avant que Janvier puisse étudier la possibilité de lui faire souffler un œil de verre. Tagliaferro, de son côté, lui céda une solide mule noire pour son périple solitaire et jura de ne révéler ses secrets à personne et de taire son passage aux archives. Les deux sœurs, Sabine et Dominique, lui promirent de rester attentives à tout ce qui pouvait toucher de près ou de loin à de nouvelles disparitions d’enfants, comme au signalement de la troupe en noir.
    Le père Aba quitta néanmoins Narbonne sans avertir ses amis de la stratégie qu’il avait mûrie pour retrouver la trace de Perrot.
    Il se porta en premier à neuf lieues dans la direction de Toulouse, dans un village qui ne figurait nulle part sur sa carte, ni dans les registres dominicains consultés : Aude-sur-Pont. Cette paroisse du diocèse de Montpezat était plus isolée encore que Cantimpré. Plus misérable aussi, n’ayant été épargnée ni par les hérétiques ni par les représailles catholiques qui suivirent. Une trentaine de feux constituaient le village, certains étaient à l’abandon.
    Dès son arrivée, en dépit de son bandeau, de sa barbe sale et de son air pitoyable, plusieurs villageois se précipitèrent pour l’accueillir. Il n’existait pas d’auberge à Aude-sur-Pont, aussi les rares voyageurs étaient-ils sollicités par les habitants pour être hébergés chez eux au tarif d’une hôtellerie.
    Le père Aba repoussa leurs offres. Il alla frapper à la porte d’une masure, la plus éloignée de l’église en bois, là où résidait une certaine Meffraye.
    Ce nom, tout le monde le connaissait dans le pays. C’était celui d’une sorcière. Selon les points de la région, on l’appelait la Meffraye, la Malvenue ou la Thessalienne. Les légendes qui l’entouraient prétendaient qu’elle se cachait dans les ruines d’une tour wisigothique près de Martel, métamorphosée en scorpion blanc ou en salamandre. En réalité, son nom était Jeanne Quimpoix et elle vivait paisiblement à Aude-sur-Pont où elle confectionnait, sans l’aide d’aucun maléfice, des potions pour les souffreteux.
    Le père Aba était déjà venu la voir, sept ans auparavant. Il lui avait amené Perrot.
    Dès sa naissance, le comportement du nourrisson ne fut pas naturel. Il ne mangeait pas comme les autres, refusant son lait les jours maigres, il dormait peu sans jamais pleurer. Sa mère était remise de son accouchement mais se trouvait mal dès lors qu’elle était éloignée de son fils, le père Aba lui-même se trouvait revigoré en sa présence ; lorsqu’il eut à le baptiser, il l’immergea dans l’eau fraîche des fonts qui devint chaude et argentine au contact du petit corps…
    Convaincu d’un sortilège, même positif, le père Aba s’inquiéta et enjoignit à Esprit-Madeleine de ne rien dire à personne de ces étrangetés, pas même à son mari Jerric, avant qu’il eût mis un nom sur ce phénomène.
    Il ne savait vers qui se tourner pour comprendre ce qui arrivait à son fils.
    C’est alors qu’il entendit parler de la Meffraye.
    Avec l’accord d’Esprit-Madeleine, il emporta Perrot – qui n’avait pas encore un an – jusqu’à Aude-sur-Pont, sous le faux prétexte de faire étudier l’os de son talon qui pourrait être contrefait comme celui de sa mère.
    Il présenta l’enfant à Jeanne Quimpoix.
    Impassible, après avoir consulté un recueil de vieux textes généthliaques, elle posa une feuille sèche de gui blanc dans la paume droite du garçon. Au bout de quelques instants, elle se ressaisit de la plante et en exprima le lait entre ses doigts. Elle sentit son parfum et sursauta.
    — Qui est au courant pour les dons de ce petit ? demanda-t-elle au père Aba.
    — Personne, hormis sa mère et moi.
    — Que cela reste ainsi ! s’exclama-t-elle.
    — Qu’a-t-il donc ? s’inquiéta Aba.
    — Si vous divulguez ses capacités de guérison, des seigneurs voudront vous le prendre et se l’approprier pour eux-mêmes ou le faire parader dans les cours des rois. Si l’Église l’apprend, elle le remettra au bourreau. À ses yeux, seuls les saints sont des faiseurs de

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