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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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percluses de goutte, remuaient comme des pattes d’insecte.
    — La pièce est neuve, estima-t-il, son avers porte le monogramme du pape Grégoire IX.
    Il la caressait.
    — Aucun poinçon de frappe, ni de seigneuriage.
    La justesse de ses remarques surprit Aba.
    — C’est incroyable.
    Althoras sourit :
    — Voilà trente ans que j’ai perdu la vue, depuis j’ai appris à ne jamais oublier le grammage d’un parchemin, le poids d’un joyau ou les reliefs d’une pièce rare.
    Peu après, le visage du vieillard se contracta. Il réfléchit intensément.
    Il agita une clochette et le visage d’un jeune homme apparut en levant un rabat de toile sur la bâche.
    — Job Carpiquet, apporte-moi mon acide d’esprit-de-vin.
    Un instant plus tard, Althoras levait une pipette d’un liquide blanc sur la pièce et y déposait une goutte. L’argent du gros tournoi se mit à mousser et à crépiter.
    L’aveugle essuya la solution avec un drap et réexamina la pièce du bout de ses doigts. Aba remarqua qu’elle avait changé de couleur.
    — C’est un faux, dit Althoras.
    Il rendit la pièce au prêtre. L’argent s’était dissous pour laisser apparaître un avers qui avait révélé de nouvelles indications au vieillard.
    Le père Aba était ébahi.
    Althoras cria à l’attention d’Isarn.
    — Hue de Montmorency !
    Le géant fronça les sourcils, fit un signe affirmatif et sortit sans un mot de la litière.
    Le prêtre ne pouvait contenir son impatience.
    — Hue de Montmorency ? Qui est-ce ?
    — Nous avons pillé il y a trois ans l’une des cargaisons de ce seigneur. Dans mes souvenirs, ce fut la première et la seule fois que j’ai mis la main sur de pareilles fausses pièces frappées du profil d’un pape.
    — Et où trouver ce Montmorency ? s’enquit Aba.
    — Il réside au château de Mollecravel, près de Couiza dans le Razès. Des histoires courent comme quoi il aurait disparu en Italie… J’ignore s’il est encore en vie. Il faut aller voir.
    Dehors, Isarn rassemblait ses hommes.

C HAPITRE 12
    Le plateau de Leccione s’étendait en Ombrie à une trentaine de lieues au nord de Rome.
    Isolée, sans arbres, dominant trois courtes vallées, battue par les vents et recouverte de neige, cette curiosité topographique avait servi dans le passé à des armées ou à des sénateurs romains qui fuyaient la capitale et voulaient s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis ; l’horizon était si vaste et plat qu’il était impossible pour des poursuivants de s’y dissimuler.
    Aujourd’hui, vingt-deux chariots bâchés, une vingtaine d’hommes en armes à pied et une dizaine à cheval traversaient le plateau de Leccione.
    Ils étaient seuls au monde, posés au milieu d’un désert blanc, avançant péniblement.
    Le maître d’attelage du premier chariot, le plus somptueux de tous, leva soudain un bras et le convoi s’interrompit, à la stupéfaction des hommes, qui s’inquiétèrent de cette pause intempestive, au milieu de nulle part et à moins d’une heure de la fin du jour.
    Le rideau du chariot s’ouvrit et une femme apparut. C’était Karen Rasmussen. Elle était très âgée, le visage enveloppé dans un hennin noir de grosse toile qui la protégeait du froid.
    Elle murmura un mot à son maître d’attelage et celui-ci appela un soldat à cheval qui se précipita pour venir se placer à sa hauteur.
    — Il est temps, lui dit Karen Rasmussen avant de disparaître à l’intérieur du chariot où deux jeunes moniales lui tenaient compagnie.
    Le soldat en selle, un homme d’une cinquantaine d’années, le regard fixe, la barbe longue et bien peignée, l’air fier qu’on trouvait chez les anciens croisés, fit reculer sa monture afin d’être vu par le reste du convoi : il brandit son épée.
    Aussitôt les dix autres cavaliers se ruèrent sur leurs voisins à pied pour les assassiner. Ce fut cruel, expéditif et sanglant ; les hommes, tous les cochers, plus quelques âmes qui se tenaient à l’abri du froid, furent égorgés ou transpercés de part en part. Ceux qui tentèrent de fuir se virent rattrapés et décapités sur le sol enneigé.
    Un profond silence succéda au massacre. Le vent sifflait et couvrait les cadavres de grésil.
    La bâche du chariot de tête se releva et Karen Rasmussen sortit, escortée de ses deux servantes qui l’aidèrent à marcher dans la neige.
    Elle contempla le bain de sang sans sourciller.
    Lentement, la vieille femme remonta le

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