Dernier acte à Palmyre
Dushara. Dommage. J’aurais bien aimé y pénétrer plus avant et avoir un meilleur aperçu du sanctuaire superbement décoré, au-delà de l’arche monumentale qui le séparait du hall d’entrée. Mais tout juste si je pus discerner un grand dieu sombre serrant les poings et regardant fixement vers ses montagnes, avant d’être entraîné à l’extérieur.
Je compris tout de suite qu’attendre le puissant anonyme sur cette esplanade allait être une épreuve. Je me demandais où se trouvait Helena. L’idée de lui envoyer un message me traversa l’esprit mais fut vite abandonnée. J’aurais du mal à expliquer à un messager où nous habitions, et je n’avais rien pour écrire. Je regrettais de ne pas avoir pris la tablette du mort. Il n’en aurait plus jamais besoin.
Le jeune prêtre avait été chargé de me tenir compagnie, ce qui ne l’avait pas rendu plus communicatif. Nous nous étions assis sur l’un des bancs de pierre, et plusieurs personnes vinrent lui parler. Toutes firent exactement comme si je n’existais pas. Je commençais à trouver le temps long et à m’agiter. La conviction de me retrouver plongé dans une situation que j’allais regretter se faisait de plus en plus forte. Je m’étais résigné à perdre le reste de la journée et à me passer de déjeuner – une habitude que je déplore.
Pour lutter contre ma morosité, je tentai de sortir le prêtre de son mutisme.
— Tu as bien vu le fugitif ? demandai-je en grec d’une voix ferme. Il ressemblait à quoi ?
Surpris par mon ton autoritaire, il se sentit obligé de me répondre.
— Un homme.
— Vieux ? Jeune ? Mon âge ?
— Je n’ai pas vu.
— Tu n’as pas pu voir son visage ? Seulement son dos ? Est-ce qu’il avait beaucoup de cheveux ? De quelle couleur ?
— Je n’ai pas vu.
— On peut pas dire que tu m’aides beaucoup !
Rendu furieux par la frustration, je parvins tout de même à me taire. Avec toute la lenteur des peuplades du désert, alors que j’avais renoncé à tirer de lui la moindre parole rationnelle, mon compagnon déclara :
— J’étais à l’intérieur du temple. J’ai entendu les bruits de pas de quelqu’un qui courait. Je suis sorti aussi vite que j’ai pu, mais l’homme était déjà loin et il a tout de suite disparu à ma vue.
— Et tu n’as rien remarqué du tout ? Il était grand ou petit ? Gros ou maigre ?
Le jeune prêtre réfléchit avant de répondre.
— J’ai pas pu voir.
— Eh bien ! Il va être facile à retrouver, ce type !
Il s’écoula quelques instants, puis le prêtre sourit. Il venait de comprendre la plaisanterie. Il n’avait toujours pas envie de communiquer avec moi, mais il avait fini par comprendre en quoi le jeu consistait. Se décontractant quelque peu, il dit sans que je lui aie rien demandé :
— Je n’ai pas pu voir ses cheveux, il portait un chapeau.
Un chapeau ! Voilà qui était déconcertant. La plupart des gens du cru s’enveloppaient la tête dans un morceau de tissu.
— Quel genre de chapeau ? insistai-je.
Il m’indiqua des deux mains, avec un air légèrement réprobateur, qu’il s’agissait d’un couvre-chef à large bord – on ne peut plus rare dans le coin. Depuis qu’Helena et moi avions touché terre à Gaza, nous avions vu des bonnets phrygiens et d’autres bonnets emboîtant étroitement le crâne, mais pas de chapeaux à large bord – une extravagance purement occidentale.
Confirmant ce que je pensais, le prêtre lança d’une traite :
— Un étranger seul et très pressé près de la Haute Place est très inhabituel.
— Comment peux-tu être certain qu’il s’agissait d’un étranger ?
Il me répondit par un haussement d’épaules.
Je connaissais déjà l’une des raisons : le chapeau. Mais des tas d’autres indices permettaient de reconnaître un étranger : la stature, par exemple, le teint, la façon de marcher, un style de barbe ou une coupe de cheveux particulière. Parfois un seul coup d’œil suffisait, ou un son.
— Il est redescendu en sifflant ! s’exclama soudain le jeune prêtre.
— Ah bon ! Tu as reconnu l’air qu’il sifflait ?
— Non.
— Tu ne te rappelles aucun autre détail ?
Il se contenta de secouer la tête. Visiblement, cette histoire avait cessé de l’intéresser.
Je ne pourrais rien en tirer de plus, et je craignais que personne ne puisse identifier le criminel en fuite.
Nous continuâmes d’attendre en silence. Je me sentais de nouveau déprimé. En
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