Dernier acte à Palmyre
d’ajouter :
— Même si elle a accueilli le fils d’un empereur comme invité.
Les Nabatéens étaient également censés aimer les fêtes, et la plupart des gens sont impressionnés par ceux qui dînent avec leurs propres dirigeants.
Ma déclaration laissa Le Frère pensif. Et en vérité, il y avait de quoi. Ma relation avec Titus César était plutôt bizarre par certains côtés, mais une chose était claire : nous avions tous les deux jeté notre dévolu sur la même fille. Cependant, ignorant l’attitude du puissant Nabatéen envers les femmes, je jugeai bon de ne pas mentionner ce fait.
C’est pourtant un sujet qui me torturait l’esprit. À chaque fois que je me rendais à l’étranger pour y effectuer une mission dangereuse, je ne pouvais m’empêcher de me demander si Titus ne formulait pas des vœux pour que j’y laisse ma peau. Peut-être Anacrites n’essayait-il pas de se débarrasser de moi pour convenances personnelles ; qui sait s’il ne m’avait pas expédié ici sur recommandation de Titus lui-même ? Peut-être la lettre du chef espion adressée au Frère stipulait-elle que Titus César, l’héritier de l’Empire, considérerait comme une faveur personnelle que je reste très longtemps à Pétra – pour toujours, par exemple.
— Mon but, en venant ici, n’a rien de perfide, tentai-je de convaincre le Premier ministre. Simplement, les renseignements que Rome possède sur ta célèbre ville sont peu nombreux et dépassés. Il s’agit en gros de vieux écrits de supposés témoins oculaires, dont un de Strabo, qui tenait lui-même ses faits d’Athenodorus, le tuteur de l’empereur Auguste. Et on peut considérer que son mérite, en tant que témoin oculaire, est un peu terni par le fait qu’il était aveugle. Notre nouvel empereur est bien trop rigoureux pour se satisfaire de telles platitudes.
— Je vois. En somme, déclara Le Frère, l’intérêt de Vespasien pour Pétra est purement intellectuel ?
— C’est un homme cultivé, renchéris-je.
En réalité, tout ce qu’on pouvait dire à ce sujet, c’est qu’un jour il avait cité un vers grossier tiré d’une pièce de Ménandre, où il était question d’un quidam pourvu d’un gros phallus. Mais, si on le comparait aux empereurs qui l’avaient précédé, on pouvait le qualifier d’intellectuel.
C’était néanmoins Vespasien le vieux général qui préoccupait surtout les politiciens.
— Je veux bien le croire, acquiesça Le Frère. Il n’empêche que c’est aussi un fin stratège.
Je décidai le moment venu de cesser de finasser.
— Et un pragmatique ! Il a de quoi dépenser toute son énergie à l’intérieur de ses propres frontières. S’il se persuade que le seul intérêt des Nabatéens est de s’occuper pacifiquement de leurs propres affaires, tu peux être certain que, comme ses prédécesseurs, il choisira d’adresser des témoignages d’amitié à Pétra.
— Et c’est pour me dire ça qu’on t’a envoyé ? demanda Le Frère d’un air hautain.
Pour la première fois, je le vis pincer les lèvres. Les Nabatéens au pouvoir avaient donc peur de Rome – ce qui signifiait qu’une négociation était possible.
Je baissai la voix.
— Si Rome choisissait d’annexer ton pays, tu n’y pourrais rien. Ce n’est pas faire preuve de tromperie envers toi, ni de malveillance, que de l’affirmer. (Je savais que j’étais en train de prendre de gros risques, même d’après mes propres critères.) Je suis un homme ordinaire, mais je pense que nous n’en sommes pas encore là. Toutefois, je suis sûr que tu es assez avisé pour anticiper les événements futurs. Ton pays se trouvant enclavé entre la Judée et l’Égypte, la question n’est pas de savoir si tu vas rejoindre l’Empire, mais quand et sous quelles conditions. Pour le moment, tu as encore le choix. Une association pourrait se mettre en place pacifiquement et quand tu le déciderais.
— Est-ce l’empereur qui parle par ta bouche ? s’enquit Le Frère.
Anacrites m’ayant proscrit toute rencontre avec les autorités du pays, je n’avais évidemment reçu aucune instruction pour m’exprimer au nom de Vespasien.
— Tu dois comprendre, confessai-je franchement, que je suis un messager peu important.
Les yeux s’ouvrirent légèrement et lancèrent des éclairs. Une main maigre se mit à jouer avec la poignée de la dague.
— Tu n’as pas à te sentir insulté, affirmai-je avec conviction. Tu dois comprendre
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