Dernier acte à Palmyre
autant.
— Alors, ils continueront d’être déçus aussi longtemps que tu resteras placée sous ma surveillance.
Surveiller Helena Justina était quelque chose de tout à fait impossible, et elle me rit franchement au nez.
— J’ai promis à ton père de t’empêcher de commettre des folies, protestai-je faiblement.
— Tu ne lui as rien promis du tout.
C’était la vérité. Cet homme était beaucoup trop lucide pour me demander de lui faire une promesse intenable.
— Tu peux continuer à lire, si tu veux, suggérai-je en bataillant avec mes bottes.
Helena sortit le parchemin qu’elle avait dissimulé sous son oreiller.
— Comment as-tu deviné ? s’étonna-t-elle.
— La lampe t’a noirci le nez.
La vérité était tout autre : après avoir partagé sa vie pendant une année, je savais que si je la laissais près d’un coffre contenant des manuscrits, elle parcourrait le tout en moins d’une semaine.
— Ce que j’étais en train de lire est plutôt inconvenant.
— C’est quoi ?
— Une collection d’histoires grossières censées être drôles. C’est bien trop osé pour un pur esprit comme toi.
— Il est certain que, pour l’instant, je ne suis pas d’humeur à lire de la pornographie.
Je fis plusieurs tentatives pour viser le lit et me glisser sous la mince couverture afin d’enlacer ma princesse. Ce qu’elle me permit de faire. Elle savait sans doute qu’il ne sert à rien de vouloir discuter avec un ivrogne. Et elle avait peut-être froid.
— Qui sait si ce n’est pas ce que cherchait Tranio ? suggéra-t-elle.
Fatigué de Tranio, je lui rappelai qu’il avait bien précisé que l’objet perdu n’était pas un parchemin.
— Il arrive parfois que les gens mentent ! déclara Helena d’une façon emphatique.
Nous aussi, comme les jumeaux, nous avions partagé notre tente en deux à l’aide d’un rideau. Et derrière ce rideau, Musa ronflait. Le silence régnait sur le reste de notre campement. Nous pouvions jouir d’un moment exceptionnel de solitude, et je n’avais pas l’intention de le gâcher à compulser un écrit grec licencieux, si tant est que c’était bien ce qu’Helena venait de lire. J’attrapai le rouleau de parchemin pour l’envoyer balader. Tout de suite après, je donnai à la fille du sénateur un aperçu de mes intentions.
— Tu en es complètement incapable, grommela-t-elle, non sans raison, et sans doute non sans regrets.
Avec un effort qui dut la surprendre, je me mis sur le côté pour éteindre la mèche dans un pichet d’eau, puis je me retournai vers elle pour lui démontrer qu’elle avait tort.
Après qu’elle eut senti que ma proposition était ferme et que j’allais peut-être demeurer éveillé assez longtemps pour la mettre en œuvre, elle soupira :
— Les préparatifs, Marcus…
Quelle femme incomparable ! J’acceptai de la libérer après quelques caresses, et elle m’enjamba pour sortir du lit.
Helena et moi formions un couple uni, mais à cause de sa terreur d’une nouvelle fausse couche et de mon angoisse des difficultés financières, nous avions pris la décision de ne pas agrandir notre famille pour le moment. Et nous partagions les incommodités permettant de défier le destin. Nous avions d’un commun accord rejeté l’idée de porter une amulette contenant une araignée poilue, comme nous l’avaient recommandé mes sœurs qui pratiquaient cette méthode de contraception – surtout parce que l’efficacité du procédé nous paraissait douteuse : mes sœurs étaient à la tête de familles nombreuses. En revanche, j’avais dû payer grassement un apothicaire pour qu’il oublie que la contraception contrevenait gravement aux lois sur la famille édictées par Auguste. Nous espérions tous les deux que sa méthode était efficace, car il ne serait en aucun cas question d’avoir recours à un avortement. Et si jamais Helena tombait enceinte, nos vies subiraient un changement radical. Nous n’hésitions cependant pas à en plaisanter.
Dans le noir, j’entendais Helena pester et rire en cherchant à tâtons sa boîte de stéatite. Elle contenait un épais onguent qui devait nous empêcher de fabriquer des enfants. Après avoir encore bougonné quelques instants, elle sauta dans le lit en murmurant :
— Vite, avant que ça fonde.
Il m’arrivait parfois de penser que le principe fondamental de cette méthode était de rendre la performance impossible. Quand un homme reçoit l’ordre de
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