Dernier acte à Palmyre
langue.) Phrygia et toi, vous êtes très proches ?
— Je connais ce grand talent depuis vingt ans. Ça répond à ta question ?
J’avais remarqué qu’Helena Justina, qui était retournée près du feu, l’observait avec curiosité. J’étais certain qu’elle saurait me dire si Davos avait été l’amant de Phrygia dans le passé, s’il l’était actuellement, ou s’il souhaitait simplement le devenir. Il s’était exprimé avec l’assurance d’un membre ancien de la troupe qui a gagné le droit d’être consulté à propos de l’engagement d’une nouvelle recrue.
— Elle m’a parlé de la proposition qu’elle avait eue de jouer Médée à Épidaure.
— Ah oui ! commenta-t-il avec un doux sourire.
— Tu la connaissais déjà, à ce moment-là ?
Il acquiesça d’un signe de tête. Le genre de réponse qui conduit directement un interrogatoire dans une impasse. Je demandai donc d’une façon directe : — Et Heliodorus, Davos ? Tu le connaissais depuis quand ?
— Bien trop longtemps !
Je ne fis aucun commentaire, alors il précisa :
— Cinq ou six saisons. Chremes l’avait ramassé dans le sud de l’Italie. Il savait plus ou moins lire et écrire. L’adaptateur rêvé, quoi.
Je fis comme si je n’avais pas entendu la dernière phrase.
— Je sais que vous ne vous entendiez pas bien. C’était professionnel ou personnel ?
— Il n’était pas foutu d’écrire, et je le détestais aussi personnellement.
— Pour une raison en particulier ?
— Pour des tas de raisons. (Perdant brusquement patience, Davos se leva et nous quitta. Mais le besoin de ne pas rater sa sortie le poussa à revenir pour ajouter :) De toute façon, je sais que quelqu’un se fera un plaisir de te le dire si ce n’est déjà fait. J’avais dit à Chremes que cet homme était un fouteur de merde et qu’il fallait le virer de la compagnie.
Je savais que la parole de Davos avait du poids au sein de cette troupe. Mais ce n’était pas fini : — Et à Pétra, je lui ai même donné un ultimatum : soit il se débarrassait d’Heliodorus, soit c’est moi qui partais.
Dissimulant ma surprise, je parvins à dire d’un ton posé :
— Et quelle décision a-t-il prise ?
— Il n’a pas pris de décision. (Le mépris contenu dans sa voix m’apprenait que s’il avait détesté Heliodorus, il ne plaçait pas Chremes beaucoup plus haut dans son estime.) La seule fois de sa vie où Chremes a pris une décision, c’est quand il a épousé Phrygia, et encore, c’est elle qui avait tout organisé en raison des circonstances.
Helena, qui avait deviné ma prochaine question, m’envoya un coup de pied. Elle était grande et possédait de longues jambes. Rien que d’apercevoir sa cheville si fine, je sentis comme un frémissement parcourir mes reins. Mais l’heure n’était pas à la bagatelle. Son avertissement n’était pas nécessaire. J’étais détective privé depuis assez longtemps pour avoir saisi l’allusion. Je pris néanmoins un malin plaisir à demander : — Je crois deviner que tu fais référence à une grossesse non désirée. Mais Chremes et Phrygia n’ayant pas d’enfants avec eux, dois-je supposer que le bébé est mort ? (Davos pinça les lèvres, comme s’il hésitait à s’exprimer d’une manière plus explicite.) Il n’empêche que Phrygia s’est retrouvée attelée à Chremes. Est-ce que l’ami Heliodorus était au courant ?
— Il l’était.
— Et je suppose que, selon son habitude, il en profitait pour faire enrager les gens concernés ?
— Oui, il ne ratait pas une occasion de les asticoter à ce sujet.
Malgré la clarté de ses propos, j’ajoutai pour continuer de l’énerver : — Il se moquait de Chremes à cause de ce mariage qu’il regrette ?
— Chremes sait que c’est la meilleure chose qu’il ait jamais faite.
— Et il tourmentait aussi Phrygia à propos de ce mariage ; et de sa chance ratée à Épidaure ; et de l’enfant qu’elle avait perdu ?
— Oui, à propos de tout ça, admit-il en ayant l’air de se reprendre.
— Je commence à croire que c’était vraiment un sale type. Pas étonnant que tu aies demandé à Chremes de t’en débarrasser.
Je n’avais pas plus tôt terminé ma phrase, que je réalisai qu’elle se prêtait à un malentendu. Davos pouvait s’imaginer que je suggérais que Chremes avait noyé son adaptateur. Le comédien saisit l’ambiguïté du propos, bien sûr, mais se contenta d’afficher un sourire
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