Dernier acte à Palmyre

nous l’avions cru, Helena et moi. Elle approuvait clairement son ambition dramatique. Elle allait peut-être même jusqu’à faire des vœux pour qu’elle réussisse. Si c’était le cas, j’imaginais qu’elle était motivée par la plus banale des raisons : elle se revoyait jeune sous les traits de Byrria.
    — Donc elle étudie et garde ses distances, résumai-je. (Ce qui pouvait rendre quelques hommes dingues.) Est-ce que quelqu’un est particulièrement amoureux d’elle ? Quelqu’un qui aimerait discrètement la studieuse Byrria ? De loin.
    — Je te l’ai dit, tous ! Tous ces salopards !
    Je poussai un long soupir.
    — Oui, mais est-ce que tu penses à quelqu’un en particulier. Quelqu’un susceptible d’avoir voulu la débarrasser des attentions d’Heliodorus. Il s’agit forcément d’un homme qui vous a accompagnés à Pétra. À part ton mari… (Pas l’ombre d’une émotion n’assombrit son visage.)… il y avait les deux clowns, l’incroyablement beau Philocrates, l’afficheur, Congrio, et Davos.
    — Pas lui ! s’exclama-t-elle. Davos ne ferait jamais une idiotie pareille. C’est un vieil ami. Je te défends d’insulter Davos. Il est bien trop sensé – et bien trop tranquille.
    Les gens croient toujours que leurs amis sont au-dessus de tout soupçon. En réalité, à chaque fois que quelqu’un meurt de mort violente dans l’Empire, il y a une forte chance qu’il ait été trahi par son plus vieil ami.
    — Est-ce que Davos s’entendait bien avec Heliodorus ?
    — Il trouvait que c’était un moins que rien. Mais c’est ce qu’il pense de la plupart des auteurs, m’informat-elle d’un air candide.
    — J’essaierai de m’en souvenir quand je m’entretiendrai avec lui.
    — Au besoin, Davos n’hésitera pas à te le rappeler lui-même.
    — On verra bien.
    Franchement je commençais à en avoir assez de toute cette bande de cabotins. Il était tard et j’avais vécu une journée pénible. Helena devait s’inquiéter pour moi, et la pensée d’apaiser ses craintes me paraissait de plus en plus excitante.
    Déclarant soudain que la pluie avait cessé, je souhaitai une bonne nuit à la Mère de la Compagnie.
    Je venais tout juste d’entrer dans ma tente quand je compris que j’aurais mieux fait de me trouver ailleurs ce soir-là.

20
    Il était arrivé quelque chose à notre prêtre nabatéen.
    Davos soutenait Musa qui semblait sur le point de s’effondrer. Ils se tenaient dans notre section de la tente, sous l’œil inquiet d’Helena. J’ignorais si c’était dû au froid ou à la terreur, mais Musa était inondé de sueur et agité de longs frissons. Il était d’une pâleur cadavérique et visiblement en état de choc.
    Je regardai Helena et compris tout de suite qu’elle commençait seulement à l’interroger sur ce qui s’était passé. Elle se retourna discrètement, s’occupant à raviver le feu, tandis qu’aidé par Davos, je dépouillai le prêtre de ses vêtements mouillés pour l’envelopper dans une couverture. Il était moins trapu que nous, mais suffisamment robuste. Des années d’escalade avaient rendu son corps résistant. Il s’obstinait à garder les yeux baissés.
    — Il ne nous a pas dit grand-chose, murmura Davos.
    Ce qui ne me surprenait pas de la part de Musa.
    — Qu’est-il arrivé ? demandai-je. Je sais qu’il pleut à verse, mais ça n’explique pas qu’il soit aussi trempé.
    — Il est tombé dans un réservoir.
    — Oh ! c’est pas le moment de plaisanter, Davos !
    — Mais je ne plaisante pas, affirma-t-il avec un air penaud assez touchant. Après la représentation, je suis parti avec des collègues à la recherche d’un marchand de vin que les clowns paraissaient connaître.
    — J’ai du mal à le croire. Avec un orage pareil ?
    — Les comédiens ont besoin de se détendre quand ils viennent de jouer. Et ton compagnon a accepté de nous accompagner.
    — Je peux pas croire ça non plus. Je l’ai jamais vu boire.
    — Il avait envie de venir, assura Davos avec entêtement.
    Musa lui-même restait muet, tremblant dans sa couverture, encore plus tendu que d’habitude. Je savais que je ne pouvais pas faire confiance à Musa en tant que représentant personnel du Frère, et j’observais attentivement le comédien qui me faisait face en me demandant si je devais lui accorder davantage de crédit.
    Davos était doté d’un visage carré, surmonté de cheveux noirs coupés court et éclairé par des yeux calmes