Dernier acte à Palmyre
essayant de ne pas avoir l’air de lui souhaiter d’être emporté par la peste bubonique ou les fièvres du Tibre.
— À la tienne ! Eh bien, Falco, nous y voilà…
De la part d’une jolie femme en train de faire glisser sa tunique, ç’eût pu être une remarque pleine de promesses. Venant de lui, ça sentait mauvais.
— Nous y voilà, répétai-je comme un écho, en espérant que j’allais me retrouver ailleurs le plus rapidement possible.
Pour me donner une contenance, je reniflai ma coupe qui puait le vinaigre à plein nez. J’attendis en silence qu’Anacrites veuille bien se décider à vider son sac. L’exhorter à se presser aboutirait au résultat contraire.
Après ce qui me parut une éternité, même si je n’avais réussi à avaler qu’une petite gorgée de cette affreuse bibine, il se lança brusquement :
— J’ai entendu parler dans le détail de ton aventure en Germanie 2 .
J’eus du mal à m’empêcher de rire, en voyant les efforts démesurés qu’il déployait pour combattre son hostilité naturelle et avoir l’air un tant soit peu admiratif.
— C’était comment ?
— Parfait si tu aimes le mauvais temps, la vantardise des légionnaires et des exemples flagrants d’incompétence au plus haut niveau. Parfait si tu aimes passer l’hiver dans une forêt où la férocité des animaux n’est surpassée que par celle de Barbares en culottes qui te posent la pointe de leurs lances sur la gorge.
— Tu aimes t’écouter parler !
— Et je déteste perdre mon temps ! Ça veut dire quoi, cette mauvaise plaisanterie, Anacrites ?
Il m’adressa un sourire qui se voulait apaisant.
— L’empereur souhaite envoyer quelqu’un de discret dans une autre petite expédition hors du territoire national.
— Tu veux dire, répondis-je cyniquement, qu’il t’a chargé de cette petite mission et que tu cherches à t’en débarrasser. Dis-moi, cette mission, elle est simplement dangereuse, ou elle implique aussi un voyage pénible, un climat dégueulasse, l’absence totale du moindre confort et un roi tyrannique qui aime ses Romains à la broche au-dessus d’un grand feu ?
— Oh ! Il s’agit d’un endroit civilisé.
C’est un mot qui s’appliquait à peu d’endroits en dehors de l’Empire. Et ces endroits avaient en général une chose en commun, c’était précisément leur désir de rester en dehors de l’Empire. Ce qui les poussait à ne pas recevoir nos envoyés d’une façon très amicale. Plus nous prétendions arriver animés d’intentions pacifiques, plus ils se persuadaient que nous avions l’intention d’annexer leur pays.
— Tu n’as pas été très explicite, mais j’en ai assez entendu. Inutile de te fatiguer. Ma réponse est non.
Anacrites gardait un visage impassible. Il continua imperturbablement de siroter son vin. Je l’avais vu boire des grands crus vieux de quinze ans et je savais qu’il pouvait faire la différence. Il s’efforçait d’avaler cette affreuse mixture comme si de rien n’était, mais ne parvenait pas à empêcher ses yeux clairs de papilloter. Je trouvais ça plutôt amusant – d’autant plus que je savais qu’il n’appréciait pas plus ma compagnie que le vin. Il finit par demander :
— Pourquoi penses-tu que le vieux m’a demandé d’y aller moi-même ?
— Quand il a besoin de moi, Anacrites, il me le dit en personne.
— Peut-être qu’il m’a demandé ce que j’en pensais, et que je lui ai dit qu’à l’heure actuelle tu n’étais pas d’humeur à faire des efforts pour le palais…
— Je n’ai jamais été d’humeur pour ça.
Je n’avais pas envie de parler de la gifle que je venais de recevoir. De toute façon, Anacrites était présent quand ma requête pour une promotion dans l’ordre social avait été refusée par Domitien, le deuxième fils de l’empereur Vespasien. J’avais même soupçonné le chef espion d’avoir suscité cet acte d’ingratitude impériale.
Il prit conscience de la fureur qui montait en moi.
— Je comprends tes sentiments, Falco, et je trouve ta réaction parfaitement normale, déclara-t-il d’un ton qu’il devait croire apaisant. (Il était apparemment inconscient qu’il risquait plusieurs côtes cassées.) On t’avait promis cette promotion ? Ce refus a dû te causer un grand choc. Je suppose que ça signifie la fin de tes relations avec la fille Camillus ?
— Ne t’occupe pas de mes sentiments personnels, et pas davantage de la fille
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