Des hommes illustres
des
alignements, s’il n’accordait aucun crédit aux pistes d’atterrissage pour
aéronefs martiens, il se montrait séduit par l’hypothèse d’un calendrier
cosmique capable d’établir la date des moissons et de commémorer l’anniversaire
du prince, sorte d’almanach géant auquel il ne manquait que le nom des saints
gravé sur les pierres et quelques conseils de jardinage sur l’art et la manière
de tailler et arranger de tels bouquets de granit. Quoiqu’un peu encombrant et
de maniement incommode, cette éphéméride pour les oiseaux – puisque ne se
pouvant consulter que du ciel – avait au moins l’avantage d’ouvrir de vastes
horizons à la rêverie et satisfaisait un talent très réel pour les
mathématiques si l’on en juge par la facilité avec laquelle il résolvait les
problèmes ardus que nous rapportions du collège. Cette interprétation de Carnac
offrait du monde une allégorie chiffrée. Tout était dit, annoncé, codé :
il suffisait de mesurer. Comme il portait toujours sur lui un mètre à ruban
destiné à vérifier le diamètre des verres et des pots de fleurs, il avait
relevé la distance entre plusieurs menhirs supposés reproduire, cinq mille ans
avant le maître, le théorème de Pythagore dans son rapport idéal : trois,
quatre, cinq. Mais les résultats s’étaient révélés trop aléatoires pour qu’on
pût annoncer avec précision le jour et l’heure de la prochaine éclipse. Il
avait même tenté d’assister au lever du soleil sur la lande de Kermario au
solstice de juin. Selon le témoignage de lève-tôt épisodiques, pseudo-druides
ou néoadeptes de Râ, le premier rayon suivait scrupuleusement une allée avant
de se planter au centre d’un cromlech, lequel, figurant comme le trou du
Saint-Sépulcre le milieu du monde, était rebaptisé Point tellurique-axial de
l’univers. Mais comme le même rayon était attendu à plusieurs endroits en même
temps, qu’il devait aussi traverser la Table des Marchands, perforer le tumulus
de Gavrinis et pointer au sommet de tel grand menhir, il était clair qu’il n’y
en aurait pas pour tout le monde. La veille au soir, le ciel était couvert et
quand, au milieu de la nuit, il entendit de sa petite chambre d’hôtel près
d’Auray la pluie tomber, il éteignit prudemment son réveil et choisit de se
rendormir.
Les visiteurs étaient accueillis sur le site par des grappes
d’enfants qui s’agglutinaient autour d’eux et, sans préambule, entreprenaient
de débiter une sorte de complainte psalmodiée à laquelle on ne comprenait pas
un mot. Le ton était monocorde, rapide, empruntant à la récitation des articles
du catéchisme ou des fables, chutant à chaque fin de phrase, ce qui obligeait
les petits officiants à reprendre bruyamment leur souffle en aspirant la phrase
suivante. De quoi s’agissait-il ? On l’apprend bien plus tard : de la
légende de saint Cornély, qui, poursuivi par les légions romaines, n’avait dû
son salut qu’à l’intervention du Seigneur, dont le souffle sacré avait changé
en statues de pierre cette armée d’assaillants que le gouvernement de l’époque
ne songea pas à rapatrier, ainsi qu’on le fait des corps des soldats, ce dont
on se félicite, car, outre un déménagement délicat, c’en eût été fini de
Carnac. Mais sur le moment on avait beau tendre l’oreille, saisir au vol deux
syllabes identifiables et les marier pour reconstituer un mot, il était bien
difficile de rendre à César ses légions et à Dieu son haleine pétrifiante. Du
coup, le mystère des pierres levées s’épaississait, se doublait de cette autre
interrogation : en quelle langue s’expriment-ils ? en patois
alréen ? en gallo-vannetais ? en proto-gaélique ? en bas
latin ? en latin de cuisine ? en bas breton ? en breton
d’opérette ? C’était de l’hébreu. A moins que par un phénomène de
possession en ce lieu hanté, par un de ces tours dont l’esprit a le secret qui
réussit même à faire parler les tables, ne sortît de la bouche des petites
bardes médiumniques la langue originelle des anciens bâtisseurs comme un écho à
retardement renvoyé par la muraille de pierres. Quoi qu’il en soit, ces gens-là
ne manquaient pas d’à-propos qui, sitôt leur laïus terminé, tendaient la main
dans la pure tradition de « n’oubliez pas le guide ». Les pères
ouvraient alors leur porte-monnaie et cherchaient sans enthousiasme la pièce
qui récompenserait surtout
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