Des Jours sans Fin
et nos familles, arriva. Rassemblés, on nous chargea dans des G.M.C. américains à six roues, conduits par des chauffeurs militaires allemands prisonniers. Le temps était magnifique. On traversait une campagne splendide, avec des arbres en fleurs, mais aussi beaucoup de villes et villages en ruine, écrasés sous les bombes, calcinés par les incendies. On traverse Passau et l’on arrive, de nuit, à Reggensburg (Ratisbonne). Au clair de lune, nous traversons la ville entre les hautes façades de maisons dont on voyait à travers les ouvertures béantes des portes et des fenêtres qu’il ne restait plus rien derrière, que le vide et des ruines. C’était impressionnant et d’une tristesse lugubre.
— On nous logea dans une caserne bondée de réfugiés de toutes nationalités, sans manger, les cuisines étant fermées ; nous trouvâmes difficilement de la place pour nous étendre par terre. Le lendemain, conduits par des Noirs américains qui roulaient à une vitesse folle, nous arrivâmes à Nuremberg et avons été logés dans la magnifique caserne S.S. où, jadis, se déroulaient les cérémonies fastueuses et bruyantes de Hitler. Hors de la ville, elle était miraculeusement intacte. Les camions qui nous avaient amenés repartirent, et l’on nous avisa que, pour le moment, il n’y avait aucun moyen de transport disponible pour nous. Quelle déception ! Pour passer le temps, on décide d’aller visiter la ville ou ce qu’il en restait. À quelques-uns, on arrive sur une grande place, où il y avait les ruines d’un très grand bâtiment dans lequel nous reconnaissons la gare ; pendu à la façade, un grand calicot portait, en lettres gothiques gigantesques, l’inscription dont la traduction était : « Toutes les roues tournent pour la Victoire. »
— Au milieu de la place, il y avait un trou au-dessus duquel était installé un gros treuil, avec une très grande roue servant à sa manœuvre, La densité des civils circulant était presque nulle, la ville semblait déserte. Mais nous amusant autour du treuil, nous voyons arriver trois hommes dans la force de l’âge, bien vêtus, bien nourris et qui sentaient le nazi à plein nez. Passant près de nous, ils nous lancent des regards qui n’avaient rien d’amicaux. Nous étions susceptibles, aussi on les attelle à la roue du treuil et, à coups de pieds dans les fesses, on les oblige à tourner, et vivement, en criant « Heil Hitler ». Deux autres personnes, qui n’avaient pas l’air d’apprécier la manœuvre, y furent également attelées. Enfin, dans une ville déserte, morte, nous avions trouvé une bonne et réjouissante distraction.
— Arrive alors, sur la place, un véhicule américain, un command-car, dans lequel se trouvaient plusieurs militaires, certainement officiers, mais vêtus de tenues de combat sans insignes visibles. Le car s’arrête, un des officiers vient voir ce qui se passait. Nous lui expliquons qui nous sommes, d’où nous venons, notre hâte de rentrer chez nous, notre déception de nous voir immobilisés ici… et que, pour nous distraire et occuper nos loisirs forcés, nous étions bien décidés à trouver des distractions, ne serait-ce que dans le genre de celle qu’ils avaient sous les yeux. Et comme nos victimes ralentissaient leur mouvement et ne criaient plus : « Heil Hitler », quelques bons coups de pieds ranimèrent leur zèle, au grand amusement des passagers de la voiture.
— Un des officiers, plus âgé que les autres, mis au courant, riait aux larmes, en déclarant : « Ces Français sont inouïs, et comme ils ont de l’humour ! » Puis il nous apprend qu’il était le général commandant le secteur et que, connaissant notre problème, il allait s’occuper de le résoudre. Il nous conseille de regagner la caserne et de patienter… pas longtemps dit-il.
— En effet, dans la soirée, des camions nous enlevèrent et nous conduisirent à Wurtzburg, dans une ancienne caserne où l’on nous attendait. Nous y soupons et nous y passons la nuit. Le lendemain matin, on nous embarque dans des wagons (une dizaine par wagon) dans une épaisseur d’un mètre de paille fraîche.
— Et nous partons, heureux, confortablement installés et à l’aise, mais à très petite vitesse, avec des pauses interminables dues à la vétusté de la voie unique, des trains devant nous qui étaient arrêtés, de ceux qu’il fallait laisser nous croiser et de la fragilité des ouvrages
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