Des Jours sans Fin
abandonné. Retour à Mauthausen et « re-quarantaine », re-exercices, re-coucher en sardines, re-corvées de pierres à la carrière, re-bastonnades.
— Aussi, c’est avec soulagement que l’on nous apprit, un matin, que nous étions désignés pour un kommando d’usine à Saint-Valentin. J’eus la chance de retrouver mes deux camarades rescapés de Gross-Raming, et c’est presque avec soulagement et joie que nous reprîmes le chemin de la gare de Mauthausen. Nous devions passer tout l’hiver 44-45 dans une usine de chars Tigres. Elle était composée d’une trentaine de halls de montage. Notre camp, composé de quatre baraques, était en dehors de l’usine, à un kilomètre environ de celle-ci. Sans avoir le confort, nous retrouvions des cages superposées pour dormir, et si les paillasses étaient absentes et que nous couchions à même le bois, nous avions plus de place, c’est-à-dire la largeur d’un lit de camp de soldat pour deux, ce qui peut paraître étroit mais qui nous semblait bien suffisant, après la quarantaine que nous venions de subir, pour la seconde fois, à la maison-mère. À part le coucher, le reste n’était guère différent du régime du grand camp. Incorporé dans l’équipe de nuit, j’eus, pour ma part, la malchance de récolter un des plus mauvais postes qui existaient dans cette usine qui sortait quatre cent cinquante chars allemands par mois. Je fus désigné pour un poste de soudure à l’arc, et voilà comment, pour la première fois de ma vie, je pénétrai dans une grande usine. Un bruit infernal régnait dans le hall III où je fus affecté. Toutes les machines-outils y étaient rassemblées. Je fus conduit au fond du hall où de petites cages en toile de tente abritaient les six postes de soudure. Et là, pendant un mois, commença mon apprentissage avec un Français requis du S.T.O. qui, je dois en convenir, essaya de faciliter ma tâche au maximum, et Dieu sait qu’elle n’était pas facile. Je devais souder des tambours (le freins de chars Tigres, pesant 150 kilos environ. Le civil français en faisait six par nuit, et lorsqu’au bout d’un mois je fus nommé titulaire du poste de soudure, la même cadence me fut imposée. Alors commença, pour moi, un autre calvaire… De 6 heures du soir à 6 heures du matin, sans arrêter, si ce n’est qu’un quart d’heure vers minuit pour un demi-litre de soupe, je crus devenir fou. Jamais je ne parvins à faire cinq tambours de freins, alors que six m’étaient imposés toutes les nuits. Transpirant, suant sous la chaleur dégagée par la soudure, les yeux brûlés par la mauvaise attaque que j’effectuais, souvent, mon masque non baissé, c’était douze heures de bain de vapeur que je prenais chaque nuit. En trois semaines, j’avais perdu mes dernières réserves de graisse, et je voyais approcher le moment où j’allais être obligé de demander grâce. Heureusement – si l’on peut dire – mes yeux lâchèrent avant le restant et un soir c’est presque aveugle que je partis au travail. Même la lumière des étoiles me faisait mal, le pus coulait sur mon visage. Arrivé à mon poste, je décidais de rester immobile, les yeux bandés de papier, et d’attendre n’importe quoi : peut-être la mort. Il y a des moments où elle apparaît vraiment comme une délivrance. Ce n’est qu’à 10 heures que passa le Meister allemand. Il m’apostropha. Je lui montrai mes yeux. Il jura dans sa langue et partit chercher l’Oberkommando S.S. (le chef du kommando section gardien S.S.). Celui-ci, après m’avoir regardé, me fit mettre dans un coin et j’attendis 6 heures du matin, la relève du jour. Rentré au camp, je fus conduit au Revier. Je ne voyais presque plus clair. Là, le S.S. décida que j’étais bon pour renvoyer au camp de Mauthausen. Mais cette solution ne m’enchantait guère. Nous étions alors au mois de décembre 1944 et les bruits les plus sinistres couraient sur Mauthausen qui regorgeait de monde et où les malades étaient proprement achevés dans la fameuse chambre à gaz. Aussi je décidais de faire tout mon possible pour essayer d’éviter le retour à Mauthausen. Et après bien des démarches, d’abord un infirmier belge, ensuite un secrétaire de block polonais que j’avais connu à Gross-Raming (un des seuls Polonais sympathiques), je réussis à me faire inscrire pour le lendemain matin à un kommando de terrasse. Chargé de creuser des alvéoles souterraines pour y
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