Des Jours sans Fin
C’est lui qui infligeait les séries de coups de schlague, qui aidait aux désarticulations. Il était également le « pendeur » officiel du kommando.
— Ancien S.S. aussi était le « rouquin » Waldemar. Ce fut peut-être le plus ignoble individu que j’eus l’occasion d’approcher, le plus vil, le plus lâche, le plus dévoyé. C’était un géant, d’une force herculéenne, aux cheveux « brique », marchant avec un déhanchement calculé, les bras ballants tel un gorille. Il fut successivement premier cuisinier à Schwechat puis Blockältester. Après un court passage au Schwechat reconstruit, en qualité de Lagerältester, il arriva à Mödling et fut promu Ober-kapo des équipes de jour à la fabrique. Son grand plaisir était de prendre un détenu au hasard et de le frapper à la figure ou de le jeter brutalement à terre. Son rire sadique et hideux éclatait alors bruyamment. Sa voix avait l’harmonie de la crécelle et il glapissait partout en quête de quelques coups à distribuer. Au cours des bombardements, il s’était montré d’une couardise sans pareille, gémissant, tremblant de tous ses membres et s’abritant derrière les autres comme un enfant. Sa morgue ne reprenait qu’une fois le danger passé. Pédéraste, comme pratiquement tous ses semblables, il avait encore une particularité : il s’était fait le principal agent de renseignements du Rapportführer. Il espionnait tout, tant chez les détenus que parmi les autres kapos ou les civils de l’usine et rapportait fidèlement au S.S.
— On pourrait multiplier les exemples de ces prisonniers devenus bourreaux de leurs codétenus. Hans, le jeune voyou de vingt ans, pédéraste et méchant, qui volait pour lui et ses petits amis le tiers des rations de son kommando ; Stavisky, l’assassin polono-allemand, kapo du Lagerbau avec le « Négus », qui assommait les détenus à coups de poing et nous sortait tous du Waschraum, à Schwechat, à la schlague, pour nous faire prendre la pelle et la pioche, le samedi après-midi ou le dimanche matin alors que nous étions au rasage, les deux Blockältester qui se succédèrent au block 4 de Schwechat, le kapo du Revier, pendant les dix-neuf mois, etc. Je ne veux plus en signaler qu’un seul, pour montrer aux mains de quels individus les Allemands nous avaient commis : le Tzigane, kapo du kommando « deux » à Floridsdorff et « quinze » à Mödling. Petit, noir comme un pruneau, répugnant de saleté bien que se parant volontiers de foulards aux couleurs vives ou autres ornements, complètement illettré, c’était le saltimbanque type de l’Europe centrale. Fourbe et méchant, volant sans vergogne une large partie des rations de son kommando pour lui et les détenus assez vils pour lui faire risette, il avait tous les défauts. Il était, par ailleurs, très froussard. Dès qu’une alerte sonnait, il passait par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et ne soufflait plus mot. Le 26 juin 1944, sous l’émotion, il avait fait dans son pantalon et resta muet trois jours. Cette particularité permettait de s’en défendre car, tout en les détestant, en cherchant à leur nuire, il finissait par craindre ceux qui lui marquaient un profond mépris, alors il ne les frappait pas.
— Voilà les hommes qui avaient, pratiquement, droit de vie et de mort sur nous !
— Combien apparaissaient beaux, à côté de tant de laideurs, les caractères de certains camarades ! Je n’en mentionnerai que deux ici, avec l’espoir de rendre, bien que très imparfaitement, un hommage ému à leurs lumineuses figures.
— Edmond était mon ami depuis le jour où, en janvier 1941, il était devenu mon compagnon de lutte. Grand et beau garçon de trente-deux ou trente-trois ans, raffiné, possédant une voix au timbre charmeur, il était de ces hommes qui attirent immédiatement la sympathie et l’estime. Il ne se plaignait pas et soutenait son entourage par son courage et sa foi. Il s’occupait spécialement, à son kommando, de quelques jeunes auxquels il prodiguait paroles d’espoir et bons conseils. S’il réussissait à se procurer un peu de supplément alimentaire, il en faisait profiter le maximum d’amis. Dans cet enfer, dans cette assemblée de brutes, il était bon et il rayonnait.
— Un des premiers jours de janvier 1944, il tomba malade, brusquement, à la fabrique et fut admis au Revier. Je fus prévenu presque aussitôt, mais, malgré tous mes efforts, je
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