Des Jours sans Fin
quatre titulaires se succédèrent à ce poste. Les deuxième et quatrième méritent une mention spéciale dans l’échelle de la sauvagerie.
— Le second était un garçon massif, jeune et puissant. Il avait combattu dans une unité de Waffen S.S. avant d’y être très grièvement blessé. C’était une sombre brute et, de plus, un fou. Il aimait à se faire attendre des heures entières, en plein hiver, au moment de l’appel et arrivait enfin au milieu du rassemblement, juché sur une bicyclette sans selle, faisant le pitre, fonçant sur les détenus et s’étalant parfois de tout son long. Il se plaisait à ordonner des rassemblements exceptionnels, interminables et rossait au hasard l’un ou l’autre pris sur les rangs. Les rares distributions de cigarettes s’effectuaient dehors, les déportés étant appelés successivement par leur numéro. Celui qui n’arrivait pas assez vite ou dont la tête ne revenait pas, recevait une série de coups de poing en pleine figure alliés à des crocs-en-jambe qui l’envoyaient rouler à terre. Il devait se relever aussitôt, approcher à nouveau au commandement de « Komm her » et la plaisanterie recommençait jusqu’à dix et douze fois. C’est au cours d’une telle séance qu’il remarqua un camarade portant une petite bague en aluminium confectionnée à l’usine. Le pauvre garçon eut les doigts complètement retournés. Pendant un grand quart d’heure, il fut martyrisé, gémissant sous la douleur insupportable, devant nous tous, terrifiés.
— Le dernier était d’un autre genre. Nous l’eûmes près de neuf mois. Fort et grand également, bien bâti, il avait l’aspect de ces bellâtres de village, prétentieux et fats. Ce sous-officier S.S. de vingt-deux ans, imbu de sa supériorité, était redouté par tous, même par le commandant ou les ingénieurs de l’usine car il avait un rang élevé dans le parti. Aussi, bien entendu, n’avait-il jamais subi l’épreuve du feu. D’une cruauté plus raffinée, beaucoup plus haineux que tous les autres, il n’avait même pas le mérite d’avoir été un soldat, un combattant. Tout son temps, il l’avait fait à Mauthausen, où son apprentissage avait été conduit à la carrière. Il s’y était montré le plus cruel et le plus odieux des « Kommandoführer ». C’est lui qui, chaque jour, y commandait la suppression de quelques détenus, c’est lui qui avait imaginé ce raffinement : « Tenir en joue un bagnard, longuement le suivre ainsi dans ses déplacements et finalement l’abattre ou bien, sans savoir pourquoi en exécuter brusquement un autre. »
— Chez Heinkel, c’est lui qui multiplia les fouilles, c’est lui qui supprima les capotes à une époque où il gelait xxxiv , c’est lui qui commandait les interminables et trop fréquentes séances de « sport », c’est lui qui était, à chaque instant, sur le dos des « caïds » pour les exciter contre nous, c’est lui qui se montrera d’une sauvagerie incroyable lors de l’évacuation. Type achevé du nazi dévoyé par la « kultur » du parti, résultat admirable de la formation des « Hitler Jugend », complétée par l’instruction reçue dans les rangs de la S.S.
— Le Lagerältester de Mödling s’appelait Franz. Ayant déjà occupé le poste à Floridsdorff et rempli les fonctions de Blockältester à Schwechat, il eut le temps de se faire apprécier à sa juste valeur. De taille moyenne, il était extraordinairement fort, ce dont il tirait une grande vanité. Sa face, au nez démesuré, éclairée de deux yeux au regard stupide, était celle d’un dégénéré mental. Il portait le triangle vert des condamnés de droit commun et avait été, avant son arrestation, dans une unité de Waffen S.S. Il s’était battu sur le front russe et avait été mis en camp de concentration pour excès de toutes sortes !
— Certains jours, il jouait au grand seigneur. Se retirant au milieu de « sa cour », servi par ses « gonzesses » attitrées, il jetait sur tous les détenus des regards méprisants sans daigner les toucher. Dans d’autres circonstances, il se montrait violent et brutal, aimait à diriger une corvée ou une séance de sport et, pour son plus grand plaisir, distribuait force coups de poing en pleine figure. Il jouissait à la vue du sang qu’il répandait ainsi. Ses capacités particulières lui avaient valu d’être l’auxiliaire obligé des S.S. pour toutes les tortures.
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