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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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seulement. »
    — On recompte. 411, en effet.
    — Malgré ce qui les attend, les KZ sont ravis. Le chef de block, un gangster de Stettin qui tient moralement et physiquement du gorille, reçoit une tournée magistrale. Mais il est solide l’animal, il ne tombe pas.
    — Voici le manquant. Un jeune Russe qui débouche de la baraque à toute allure en essayant en vain d’enfiler sa veste. Il devait dormir dans un coin. Qu’est-ce qu’il va prendre le malheureux !
    — « Komm hier ! Komm hier ! (Viens ici !). »
    — L’homme ne sait plus que faire. Il s’arrête devant le S.S., veut sortir son calot et le laisse tomber, essaie de passer la manche droite de sa veste bleue et blanche, mais n’y parvient pas parce qu’elle est en morceaux, comme la plupart des vestes KZ.
    — « Casse-lui le bras », ordonne un des S.S.
    — Le chef de block tord le poignet du Russe jusqu’à ce que le coude saute en claquant.
    — « Maintenant, ce sera plus facile, dit le S.S. Habille-toi ! »
    — Ils achèveront le jeune Russe à l’infirmerie. Vous comprenez maintenant pourquoi les Russes occupent l’Allemagne avec une certaine rigueur.
    — Quant au block, comme prévu, il est condamné au « crapaud général ». Le crapaud est un mouvement de gymnastique d’ensemble qui consiste à progresser en imitant ledit animal, c’est-à-dire par petits bonds sur la pointe des pieds, les mains croisées derrière la nuque, le buste accroupi sur les talons, jusqu’à ce que le corps s’affale épuisé.
    — Comme la nuit descend sur la place d’appel, 411 hommes exténués, les cuisses brisées par la fatigue, matraqués par les S.S. et par les kapos, mordus par les chiens, continuent à sauter tels des grenouilles ou à tomber évanouis. Il pleut toujours. C’est un spectacle poignant, horrible, qui refoule au fond du cœur une haine sans merci.
    Ils ont repris le Yougoslave, hélas !
    En rentrant de l’usine, le lendemain, tout le camp peut le voir, ligoté sur un baril, près de la porte d’entrée et portant sur la poitrine un écriteau : « Hourrah ! hourrah ! ich bin wieder da (je suis de nouveau là). »
    — Il restera ainsi deux jours et deux nuits, par un froid glacial, afin que tout le monde l’ait bien vu. Puis il sera conduit au kommando de la carrière, à Mauthausen, d’où aucun bagnard n’est jamais revenu.
    — Les Yougoslaves, eux aussi, ont un compte à régler avec les Boches.
    — Midi, l’heure des rutabagas arrive et malgré la pauvre pitance qu’elle réserve, les KZ, l’estomac tordu par la faim, l’attendent avec impatience. Dans quelques minutes, ce sera l’assaut des bouteillons par quatre cents squelettes, comme chaque jour. Je rêvasse au milieu de l’usine en essayant vaguement de travailler suivant le principe en usage, parait-il, dans toute l’Allemagne. « Avoir toujours l’air de faire quelque chose surtout lorsqu’on ne fait rien », et comme le Rapportführer et le chef de camp se dirigent de mon côté, au hasard, je me mets à compter mes engrenages.
    — Ce n’est pas de mon côté qu’ils se dirigent, c’est sur moi.
    — « 37.788 ? » interroge le S.S. en vérifiant mon numéro.
    — « Iawohl ! »
    — « Lager ! » (au camp).
    — Diable ! Rappelé de l’usine au camp en plein jour, et par le Rapportführer ! Il y a de quoi avoir le souffle coupé. Ce ne peut être que très urgent et très grave et ici la mention urgent et grave prend souvent la forme d’une corde. Les camarades qui me voient partir entre le S.S. et le chef de camp me jugent perdu : je lis cet arrêt, en passant, dans leurs yeux.
    — Il y a dans chaque âme une constante d’espoir intimement liée à la constante d’incertitude. Tandis que je défile entre mes deux gardiens dans le dédale des bâtiments, il me vient cette idée saugrenue que mon ancien chef, le maréchal Pétain, pris de remords de m’avoir livré aux Boches, a obtenu ma libération. Mais je rejette aussitôt cette hypothèse. Je sais, par expérience, que le Maréchal ne s’encombre jamais de remords parce qu’il s’en tient à deux règles : 1) Ne pas s’user ; 2) Laisser s’user les autres.
    — Le S.S. et le chef du camp m’encadrent silencieusement. C’est tout cuit, je ne verrai pas le soleil se coucher ce soir. Dès l’arrivée au camp, on me met entre les mains d’un coiffeur qui me rase le crâne et le visage. Derrière le Rapportführer s’est

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