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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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victoire de l’Amérique, « sa seule chance ici-bas », dit-il. Un regard sombre mais très doux, une figure longue et maigre, des cheveux prématurément blancs lui composent une silhouette romantique. Très aimablement, il se met à ma disposition et me promet de me donner une soupe au camp, car ma pâleur l’inquiète. C’est bien la première fois qu’un détenu allemand me porte de l’intérêt, m’inspire quelque confiance et me surprend par sa douceur, sa distinction naturelle. Il est poète également et il me récite joliment quelques vers de Heine. Une trouvaille, ce Boche ! Je finis par lui poser l’éternelle question :
    — « Pourquoi es-tu ici ? »
    — Il hésite un moment, puis répond d’une voix sourde en français :
    — « Chez ma belle-mère, j’ai surpris ma femme couchée avec ses deux amants. »
    — « Et alors ? »
    — « Je les ai tous tués. »
    — Pour une fois que j’avais découvert un Allemand tendre ! Il me laisse sur cette vision d’un assassin au revolver fumant entouré de ses victimes, et je me rendors littéralement dans cette mare de sang.
    — Lorsque je me réveille, au bout d’un temps indéterminé, l’adjudant S.S. est devant moi. Il me regarde fixement. Je ne dois pas avoir l’air d’un homme à son aise. Tout le coin de l’usine attend la gifle habituelle. Il doit être mal luné le Fritz. Je reçois une volée de coups de poing dans la figure et la poitrine. Il frappe jusqu’à ce que je m’écroule entre deux armoires.
    — Quelques minutes après, trois contremaîtres autrichiens que je ne connais pas, passent l’un après l’autre, le long de ma table, en regardant prudemment autour d’eux. Le premier y dépose deux cigarettes, le second un petit pain blanc, le troisième une pomme. Tiens ! Tiens !
    — Une demi-heure plus tard, je dors de nouveau malgré mes efforts pour rester éveillé. Mon pouls se promène autour de quarante-huit. Ils finiront par s’habituer à ce sommeil assez choquant en plein milieu de l’usine. Je deviendrai un personnage à la Cami : le major-qui-dort, classé comme tel avec les tours et les rectifieuses, dans le matériel de la fraiserie. Le tout en Allemagne est d’être régulier, même dans ses crimes.
    Soudain, grand branle-bas dans les baraques. Ça leur prend quelquefois, par exemple lorsqu’un secrétaire de block s’est trompé d’une unité dans son compte d’appel, ou à l’occasion de la découverte de quelque vol important aux cuisines. On dirait alors que tous les Allemands sont devenus subitement fous. Les chefs de block hurlent sauvagement : « Antreten ! Antreten ! », les kapos armés de matraques frappent à tour de bras les détenus qui défilent à leur portée et les bagnards polonais, les yeux injectés de sang, vous passeraient sur le ventre pour courir plus vite. Malheur à ceux qui s’attardent dans une chambre ou aux cabinets. Ceux-ci toujours pleins, se composent de douze sièges sans cloisons protectrices que l’on peut ainsi embrasser d’un coup d’œil. Ils sont alors vidés de leurs occupants en un temps record et comme la porte de sortie est étroite, pas un homme n’échappe au coup de goumi. C’est la course échevelée, pieds nus, en chemise, n’importe comment vers la place de rassemblement et le rangement par file de dix à grand renfort de gifles, de coups de pied au ventre, de côtes meurtries. Enfin, l’affolement se tasse, et le block entier immobile, attend les ordres. L’attente durera un quart d’heure, deux heures, toute la journée – cela s’est vu – par la pluie, la neige, le vent glacé, ou sous un soleil torride. C’est le moindre souci de ces messieurs, on ne connaîtra même pas la cause de l’« antreten » général.
    — Aujourd’hui, on la connaît. La nouvelle a circulé de bouche en bouche dans le camp, à la vitesse d’un cheval au galop.
    — Elle est d’importance par sa rareté : un Yougoslave s’est évadé.
    — Les 412 KZ rayés du block sont là, tête nue, sous la pluie, les S.S. arrivent, furieux, déchaînés.
    — « Mützen ab, Mützen auf, Mützen ab, Mützen auf », vingt fois de suite, les bagnards se découvrent et se couvrent au commandement.
    — « Monsieur le Rapportführer, annonce le chef de block, 412 Häftlingen présents sur 415, trois en kommando. »
    — « C’est faux, remarque le S.S. contrôleur des blocks qui a compté d’un regard. 411

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