Des Jours sans Fin
assez aimablement :
— « Vous êtes le premier qui revient de cette direction. Compliments. »
— « Il n’y a pas de quoi ! »
— J’essaie de profiter des circonstances pour lui parler d’officier à officier et lui dire ce que j’ai sur le cœur à propos des atrocités du bagne et des coups quotidiens que j’y reçois. Mais avant d’avoir pu ouvrir la bouche, je suis violemment éjecté par le Rapportführer.
— Après un sévère contrôle de poux, je rentre au block où les camarades français me font fête. Konrad ricane !
— Ce sera pour la prochaine fois.
— Drôle d’histoire !
— Au xlv début de juillet, par un dimanche magnifiquement ensoleillé, l’usine subit son premier bombardement.
— L’alerte ayant été donnée à temps, nos S.S. s’enfuirent avec nous dans la campagne et il n’y eut pas de victimes parmi nous. Le camp, bien qu’inscrit dans l’enceinte de l’usine, n’avait pas souffert. En réalité, le raid des Alliés de ce jour-là, ne visait que l’usine F.O.W. et seuls quelques avions s’étaient détachés pour lâcher un peu de leurs bombes à titre de hors-d’œuvre. Trois ou quatre ateliers avaient néanmoins été durement touchés. Il fallut naturellement déblayer immédiatement les décombres et ce travail dura de midi à minuit sans arrêt, les équipes se relayant. En compensation de ce pénible travail, nous avions le plaisir de constater les destructions. Nos geôliers, eux, faisaient grise mine. L’atelier où nous étions censés travailler, bien que touché lui aussi, put être remis en marche au bout de deux jours, ce qui nous dispensa de continuer à prendre part au déblaiement.
— Les alertes devinrent ensuite presque quotidiennes. À peu près chaque matin, entre 9 h 30 et 10 heures, les sirènes vidaient l’usine, les appareils producteurs de brouillards entraient en action et, encadrés par nos S.S., nous prenions le chemin de la campagne. Lorsque notre équipe travaillait de jour, ces arrêts de l’usine étaient les bienvenus, mais quand, au contraire, nous formions équipe de nuit, l’alerte du matin avait pour effet d’interrompre notre sommeil diurne au camp. Au lieu de nous reposer, il fallait courir la campagne et, à la reprise du travail de nuit, nous n’étions rien moins que dispos. J’ai gardé un pénible souvenir de la lutte qu’il nous fallait alors soutenir contre le sommeil parmi le ronronnement berceur des machines, sous peine de sévères châtiments.
— Quinze jours après le premier bombardement, les Alliés revinrent en force et, cette fois, tout le territoire de l’usine subit des dégâts considérables. Notre camp, pour sa part, reçut trente-sept bombes de 500 kilos qui le transformèrent en terrain lunaire recouvert de bois pulvérisé et tuèrent ou blessèrent mortellement ceux de nos compagnons que leur état de santé avait immobilisés à l’infirmerie, ainsi que plusieurs S.S. retenus au camp par leur consigne. Ce soir-là, nous couchâmes à la belle étoile, mais les clôtures et les miradors n’existant plus, il importait de trouver un asile mieux défendu contre les évasions possibles. On fit donc évacuer un camp de travailleurs civils des environs qu’on nous assigna comme résidence. Le travail ne nous fit pas défaut dans les jours qui suivirent car, en sus du déblaiement de l’usine, nous dûmes encore vaquer à l’aménagement de notre nouveau camp et y opérer toutes les transformations nécessaires pour parer aux fuites. Ce qui, dans notre atelier, restait de machines fut déménagé et réparti dans de petites usines des environs dans l’intention de reprendre une fabrication décentralisée. Mais, d’une part ces usines, bien que moins apparentes, n’étaient pas à l’abri des bombardements et, d’autre part, il résultait de cette décentralisation des complications qui, jointes au désordre congénital de la F.O.W., firent sombrer cette gigantesque entreprise dans le marasme final avant même qu’elle eût été capable de s’organiser.
— L’été s’acheva pour nous dans un lumineux espoir. Nous avions avidement suivi, avec quelque retard il est vrai, les progrès de la campagne de France. Assez souvent un journal allemand nous tombait entre les mains. Les noms de Rennes, Le Mans, Chartres s’étaient succédé rapidement. Et puis on avoua Paris ! Quelle secrète ivresse ce jour-là ! Coup sur coup, la « défensive
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