Des Jours sans Fin
profilée la silhouette de mon chef de block, ce bandit de Konrad 1 xliv . Il imite en me regardant le geste du bourreau tirant sur une corde. Charmante attention !
— De là, je suis conduit chez le commandant du bagne, le Colosse, capitaine de S.S. Schmutzler. Dans son bureau se trouvent quatre civils qui sentent la Gestapo à plein nez. C’est bien elle.
— « Voici le détenu en question, de quoi s’agit-il ? »
— « Cela ne regarde que la Gestapo, répond un des policiers, sur un ton plutôt insolent. Nous avons à prendre livraison. »
— « Faites. »
— Les policiers me passent d’énormes menottes et me jettent dans une torpédo qui prend aussitôt la route de Vienne. Mes compagnons ne desserrent pas les dents. Ça va très mal. Le fait d’être repris au bagne par la Gestapo signifie vraisemblablement la réouverture de mon dossier à la suite de révélations nouvelles. Quelque camarade torturé aura parlé. Dans ce cas, c’est la mort à brève échéance.
— La voiture traverse Vienne. Dans d’autres circonstances, la promenade, pour un reclus, ne manquerait pas de charme. Mais je l’avoue, les maisons dansent un peu devant mes yeux. L’automobile s’arrête bientôt devant la trop célèbre prison de l’Elisabeth Promenade et je retrouve le silence d’une cellule qui, à tout prendre, vaut mieux que l’horrible animation du bagne. Pendant trois jours et trois nuits, livré à mes réflexions, j’essaie, sans y parvenir, de pénétrer la cause de cet étrange rappel.
— C’est le quatrième jour, au matin, le dimanche 13 juin 1944, que j’apprends, par un interrogatoire-éclair, la singulière charge qui pèse sur moi. J’ai pris en cellule la résolution d’employer, quoi qu’il arrive, la méthode qui a assez bien réussi à Vichy : hurler à la persécution. Demandes et réponses en allemand volent avec une telle vivacité que la dactylographe en pâlit.
— « Comment communiquez-vous avec la France ? »
— « Est-ce que vous me prenez pour un fou ? »
— « Nous avons des preuves. »
— « Ce n’est pas vrai. Mes camarades et moi, vivons au bagne un pied dans la tombe et un pied dans la m… Comment, par où, par qui, oserions-nous communiquer avec la France ? »
— La réaction produit de l’effet. En réalité, je tremble car je communique avec la France sur quatre directions, par quatre ouvriers requis : Camps, Montanet, Distinguin, Judas. Mais l’inquisiteur glisse et reprend :
— « Alors expliquez-moi comment vous avez donné d’ici, au commandant Cony, l’ordre de tuer le maréchal Pétain, le président Laval et le général Bridoux dans le cas où vous ne reviendriez pas vivant d’Allemagne ? » Grosse faute chez l’adversaire. Il s’est dévoilé trop vite. J’ai compris ce qu’il pouvait avoir entre les mains et, levé, je crie :
— « Mais c’est du cinéma ! Monsieur, du mauvais cinéma. Je n’ai jamais entendu parler du commandant Cony. Je ne suis pas un assassin, mais un officier de l’armée française. Il est intolérable de penser qu’on puisse m’attribuer un pareil forfait. »
— Il a un coup droit qui me secoue.
— « Pourtant ce sont eux qui vous ont livré. »
— J’ai l’air de tomber des nues.
— « Eux, première nouvelle ! »
— Il sort, revient au bout de quelques minutes et dit :
— « Nous vous interrogerons demain de nouveau. »
— Il me tend des cigarettes, du pain, deux pommes. Ouf ! ça va mieux.
— Je ne connais pas Cony, mais ce qui s’est passé, maintenant, c’est clair. Me trouvant en cellule au Cherche-Midi, j’avais chargé un camarade sûr qui avait fini sa peine, de prévenir le réseau de mon départ prochain pour l’Allemagne. Mes derniers mots avaient été : « S’ils me tuent, vengez-moi sur ceux qui m’ont livré. » L’Alliance avait dû prendre des mesures pour le cas d’une exécution de son chef.
— Dès lors, la défense devenait facile. C’est le réseau qui aura fabriqué l’ordre, si ordre il y a et l’aura mis à mon compte pour fanatiser les hommes chargés de me venger. Je n’ai plus qu’à désapprouver hautement de tels agissements.
— Le lendemain, l’interrogatoire est encore plus bref que la veille. Je raconte ma petite histoire. On l’enregistre sans commentaire et je suis reconduit directement au bagne sans menottes.
— En prenant livraison, le capitaine S.S. me dit
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