Des rêves plein la tête
Pablum à Richard.
Après avoir aidé
à laver la vaisselle, la fillette alla finalement chercher le document que son
institutrice avait remis à chacune de ses élèves à la fin de l'après-midi.
Laurette s'en empara et lut lentement le message.
— Ah ben, bâtard
! Il manquait plus que ça ! s'écria-t-elle en jetant le papier sur la table de
cuisine.
— Qu'est-ce qu'il
y a encore ? demanda son mari en levant le nez de son journal.
— Il y a que la
sœur écrit qu'il y a des poux dans sa classe et elle veut qu'on examine la tête
des enfants. Dis-moi pas que la petite nous a apporté cette vermine-là ici
dedans ! Comment
ça se fait que les mères surveillent pas plus leurs enfants que ça, verrat?
Gérard ne
répondit pas. Il n'y avait, de toute façon, rien à répondre. Sa femme, en
colère, sortit une bouteille d'huile à lampe et en versa dans un bol avant de
s'emparer d'un peigne fin.
— Arrive ici,
toi, ordonna-t-elle sans ménagement à sa fille. Il va falloir que je t'examine
la tête. Comme si j'avais juste ça à faire, bonyeu !
Elle passa de
longues minutes à passer le peigne trempé dans l'huile dans la masse de cheveux
bruns de Denise qui se plaignait de l'odeur désagréable qui en émanait. Lorsque
Laurette eut fini, elle dut laver la tête de sa fille.
— En tout cas, il
y a personne qui va venir dire qu'elle a des poux, déclara-t-elle en séchant
vigoureusement les cheveux de sa fille avec une serviette. J'en ai pas trouvé
un.
Son mari ne lui
prêtait aucune attention. Il avait allumé la radio et écoutait avec une rage
grandissante les basses attaques dirigées contre le premier ministre.
Il fallait
reconnaître que la campagne électorale provinciale était particulièrement dure.
D'un côté comme de l'autre, on ne se ménageait pas. Tous les coups bas
semblaient permis. Les adversaires de Duplessis ne se gênaient pas pour
dénoncer ses écarts de conduite ainsi que certaines lois contestables votées
par son gouvernement durant son mandat. De son côté, le premier ministre
sortant vantait le crédit agricole et électrification des campagnes réalisés
pendant qu'il était au pouvoir. Cependant, il était bien évident que le
véritable enjeu de cette élection demeurait, encore et toujours, la
conscription. Depuis les premiers jours de la campagne, les ténors de la
politique fédérale se plaisaient à acculer le politicien de
Trois-Rivières à
la défensive à la radio et dans les journaux. Les députés du Québec à Ottawa
venaient même de promettre de démissionner en bloc si jamais on imposait la
conscription au pays.
Le jour du
scrutin arriva. Le 25 octobre, les électeurs durent affronter une pluie froide
poussée par un fort vent pour remplir leur devoir de citoyen. Ces rumeurs de
conscription avaient tellement fini par inquiéter Gérard qu'il s'était
finalement résolu, pour la première fois de sa vie, à aller voter.
Malgré la pluie,
le magasinier de la Dominion Rubber alla déposer son bulletin de vote dans la
boîte de scrutin avant de rentrer à la maison, complètement trempé.
— Si ça a de
l'allure de risquer d'attraper une pneumonie pour des niaiseries pareilles, fit
Laurette sur un ton désapprobateur en l'apercevant dans le couloir. Enlève tes
souliers pour pas salir mon plancher, ajouta-t-elle en tendant un biscuit à
Denis.
Ce soir-là, le
jeune père de famille, tout excité, s'installa près de la radio dès le début de
la soirée pour connaître les résultats des élections. Pour son plus grand
dépit, les résultats dévoilés par Roger Baulu furent peu encourageants dès les
premières minutes. A neuf heures trente, il était déjà évident que le parti
libéral d'Adélard Godbout allait l'emporter facilement. À la fin de la soirée,
l'Union nationale de Maurice Duplessis n'était parvenue à faire élire que
quinze de ses quatre-vingt-cinq candidats. Il s'agissait là d'une véritable
dégelée.
— Maudit cybole !
Ça valait ben la peine de se déranger pour aller voter ! s'exclama Gérard,
dépité, en éteignant la radio après avoir entendu le décompte final des
résultats du scrutin. Les maudits rouges ont gagné.
— T'as pas tout
perdu, lui dit Laurette au moment où tous deux se mettaient au lit après avoir
vérifié si les enfants étaient bien couverts pour la nuit.
— Pourquoi tu dis
ça ?
— Je pense que je
suis encore en
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