Des rêves plein la tête
prend pour une folle, lui ! répéta-t-elle à voix haute à plusieurs
reprises, toujours en proie à une violente crise de jalousie. C'est trop facile
de faire le beau avec une petite jeune pendant que sa femme enceinte est
poignée avec les enfants !
Après quelques
minutes d'attente, elle finit par apercevoir Gérard se dirigeant vers la rue
Fullum. Il était seul. Utilisant comme écran un tramway qui passait en
bringuebalant, elle accéléra le pas, tourna dans la rue Fullum avant que son
mari ne l'aperçoive et retourna à la maison. Gérard ne la vit qu'au moment où
elle rentrait le landau dans l'appartement.
— Je t'ai déjà
dit de pas forcer après le carrosse, lui dit-il. T'as juste à le pousser jusque
dans la cour et je le rentrerai en revenant de l'ouvrage.
De toute
évidence, il "avait oublié leur bouderie de la veille et Laurette n'eut
d'autre choix que de lui adresser la parole. En apparence, tout était rentré
dans l'ordre. Pendant un moment, elle se demanda s'il ne l'avait pas vue en
train de le guetter sur la rue Notre-Dame...
Malgré cela,
Laurette répéta le même manège durant trois jours d'affilée sans obtenir plus
de succès. Elle ne surprit pas une seule fois son mari en compagnie d'Elise ou
d'une autre femme. Elle en éprouva beaucoup de soulagement, mais resta tout de
même intriguée. Elle
Le 28 août,
Laurette accoucha sans peine de la fille qu'elle désirait depuis si longtemps.
Encore une fois, elle eut la chance de profiter de l'aide de sa mère qui vint
prendre soin de ses petits-enfants durant une semaine entière afin de lui
permettre de reprendre des forces. Cette dernière se chargea aussi de préparer
Denise et Jean-Louis pour leur retour à l'école.
laissa passer
quelques jours avant de lui demander, un soir, mine de rien :
— Qu'est-ce qui
est arrivé à la fille qui reste sur la rue Dufresne ?
— Quelle fille ?
demanda-t-il en fronçant les sourcils comme s'il cherchait de qui il
s'agissait.
— Fais donc pas
l'hypocrite, Gérard Morin ! Comme si tu savais pas que je parle de celle que
t'appelles Élise.
— Ah ! Tu parles
d'elle. Ben je sais pas trop. Elle a dû s'apercevoir qu'une femme la
surveillait depuis une couple de jours sur la rue Notre-Dame et elle a
peut-être décidé de prendre une autre rue pour rentrer chez eux après
l'ouvrage.
Laurette eut un
rictus comme si elle venait de mordre dans un citron, mais ne répliqua rien.
Lors de sa visite hebdomadaire chez ses parents, le dimanche suivant, elle
profita d'un moment où elle se retrouva seule en compagnie de sa mère pour lui
faire part des doutes qui l'assaillaient toujours.
— Pauvre petite
fille ! fit Annette. Tu te casses ben la tête pour rien. Ton mari est toujours
à la maison quand il travaille pas. Si tu commences à t'en faire chaque fois
qu'il parle à une belle femme, t'as pas fini de te faire des cheveux blancs.
J
Il fut rapidement
décidé que le nouveau bébé de la famille porterait le prénom de Carole.
— On aurait pu
l'appeler Lucille, comme ma mère, avait suggéré Gérard le lendemain de la
naissance. Je suis sûr que ça lui aurait fait plaisir.
— Peut-être, mais
c'est trop ancien. En plus, je trouve qu'une Lucille dans la famille, c'est ben
assez, répliqua Laurette avec brusquerie en se demandant si son mari ne faisait
pas exprès pour la contrarier.
Lorsque le père
de famille se présenta au presbytère de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul
"pour faire inscrire son enfant sur les registres paroissiaux, il eut
affaire à un curé Crevier qui sortait à peine d'une prise de bec avec le
président de la fabrique. Le pasteur se montra particulièrement cassant et
impatient avec lui.
— Mais il est ben
bête, ce maudit curé-là! ne put s'empêcher de dire Gérard à sa femme en
rentrant à la maison. C'est tout juste s'il m'a pas engueulé quand je lui ai
dit qu'on voulait attendre deux semaines pour le baptême parce que tu voulais
être la porteuse.
— Lui, il est
mieux de pas me faire de remarque au baptême, parce que curé ou pas curé, il va
m'entendre, menaça Laurette, toujours alitée.
Bernard et
Marie-Ange acceptèrent avec empressement d'être parrain et marraine et le
baptême se déroula sans incident pour l'excellente raison qu'il fut célébré par
l'abbé Léger.
Quelques jours
plus tard, Laurette se décida à aborder avec son mari le sujet délicat de
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