Des rêves plein la tête
couverte, sur le balcon.
Jean-Louis est dans sa chambre. Je sais pas ce qu'il fait.
—C'est correct.
Je vais attendre ton père en avant. Quand il sera là, j'entrerai préparer les
sandwiches.
Pour arriver à
reprendre définitivement pied dans la réalité, la mère de famille s'alluma une
cigarette et se remit à se bercer. Elle observait surtout ce qui se passait
dans la rue Archambault où des jeunes âgés d'une dizaine d'années avaient
entrepris de disputer une course avec des trottinettes constituées d'une boîte
en bois montée sur une planche sous laquelle ils avaient cloué les deux parties
d'un vieux patin à roulettes.
Brusquement,
poussée par une sorte de pressentiment, elle tourna la tête vers la rue Fullum,
juste au moment où Gérard tournait le coin en compagnie d'une jeune femme.
Épaule contre épaule, ils semblaient plongés dans une discussion si
intéressante que rien autour ne paraissait en mesure de les déranger. Ils
avançaient lentement, sans se presser.
A la vue de son
mari tout souriant et charmeur, le sang de Laurette ne fit qu'un tour. Le
couple se dirigeait vers elle, mais pas une seule fois Gérard ne lui adressa un
regard.
Blanche de rage,
elle quitta sa chaise berçante après avoir pris son verre vide déposé sur le
trottoir. Au même moment, l'interlocutrice de son mari le quitta sur un
sourire, traversa la rue Emmett en diagonale, fit un léger signe de tête à
Laurette en passant et poursuivit son chemin rue Archambault.
— Laisse faire ta
chaise, je vais la rentrer, lui offrit Gérard en s'arrêtant devant elle.
Sans dire un mot,
sa femme pénétra dans la maison et se dirigea directement vers la cuisine.
Gérard replia la chaise berçante et la déposa contre le mur du couloir avant de
la suivre.
— C'est qui,
cette fille-là ? l'apostropha-t-elle avant même qu'il se soit assis.
— De qui tu
parles ?
— De la fille que
tu viens de lâcher juste devant notre porte, dit Laurette sur un ton dur.
— Ah ! Tu parles
d'Élise ?
— Et tu
l'appelles par son petit nom, à part ça ?
— Comment veux-tu
que je l'appelle ? C'est son nom, répliqua Gérard qui ne comprenait pas très
bien où sa femme voulait en venir.
— C'est qui,
cette fille-là ? répéta Laurette.
— Une fille qui
travaille à la compagnie.
— Depuis
longtemps ?
— Je le sais pas.
Cinq ou six mois, à peu près. La compagnie a commencé à engager des femmes.
Elle travaille dans les bureaux.
— Et ça dure
depuis combien de temps entre vous deux?
— Cybole, de quoi
tu parles ?
— Prends-moi pas
pour une folle, Gérard Morin ! J'ai des yeux pour voir, tu sauras !
— Qu'est-ce que
tu vas t'imaginer là ? C'est juste une fille qui travaille à la même compagnie
que moi. Elle reste sur Dufresne.
— En plus, tu
sais où elle reste !
— Ben oui, je le
sais. Elle reste sur Dufresne, bâtard ! Elle prend le même chemin que moi pour
aller travailler,
je suis tout de
même pas pour faire semblant de pas la voir sous le prétexte que t'es jalouse.
— Je suis pas
jalouse pantoute. Mais j'aime pas faire rire de moi en pleine face.
— Comment ça,
faire rire de toi ?
— Aïe !
Prends-moi pas pour une niaiseuse ! Fais pas semblant de pas comprendre. C'est
clair comme de l'eau de roche qu'il y a quelque chose entre vous deux. Elle a
l'air d'une vraie guidoune avec ses souliers à talons hauts et sa robe
décolletée.
— Sa robe est pas
décolletée et c'est pas une guidoune. Puis arrête de crier comme une folle, lui
ordonna son mari en élevant la voix. Tout le monde t'entend autour !
— Je crierai si
je veux !
Gérard se leva et
alla fermer la fenêtre de cuisine et la porte qui menait au balcon.
— Je sais pas si
tu le sais, mais t'es malade, cybole ! dit-il ensuite, exaspéré.
— C'est sûr que
c'est facile de voler le mari d'une femme poignée avec quatre enfants à la
maison et qui en attend un autre dans un mois. Moi, je suis pas capable de
m'arranger comme elle pour faire perdre la tête aux hommes. Moi, j'ai pas le
choix. Je passe mes journées à torcher les enfants.
— Veux-tu ben
arrêter de t'énerver pour rien ! Tu m'as vu parler à quelqu'un qui travaille
avec moi et tu vas t'imaginer toutes sortes d'affaires. Taboire ! Pense donc un
peu ! Je suis ici dedans tous les soirs à cinq heures et demie, cinq jours par
semaine.
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