Des rêves plein la tête
souvent.
Elle s'assit assez près de sa porte, qu'elle avait laissée ouverte pour
entendre ce qui se passait dans la cour arrière où Gilles et Richard
s'amusaient. Jean-Louis vint bientôt s'asseoir sur le pas de la porte, près
d'elle.
— Pourquoi tu vas
pas jouer avec tes frères ?
— C'est pas le
fun.
— Va jouer dans
la grande cour, c'est plein de petits gars de ton âge.
— Il fait trop
chaud. Ça me tente pas.
Devant son air un
peu buté, Laurette renonça à le persuader de bouger, se contentant de s'éventer
avec le
journal de la
veille. Elle s'alluma une cigarette et but une gorgée de cola, portant son
regard sur ce qui se passait autour d'elle, tant sur la rue Emmett que sur la
rue Archambault. Elle poussa un soupir d'aise quand une légère brise prit la
petite rue en enfilade. L'endroit était définitivement plus agréable que le
balcon arrière, près des poubelles métalliques nauséabondes, derrière
l'escalier conduisant chez les Gravel.
Confortablement
installée, elle se mit à se bercer doucement en songeant à tout ce qui était
survenu dans sa famille et dans celle de son mari durant les derniers mois.
Pauline, la femme
d'Armand, venait finalement de tomber enceinte. Elle aussi saurait bientôt ce
que c'était que d'avoir un enfant. Son autre frère, Bernard, avait emménagé
avec Marie-Ange dans un nouvel appartement de la rue Logan.
À la surprise
générale, Rosaire Nadeau avait, quant à lui, abandonné son travail chez Commins
pour se lancer à temps plein dans la vente de voitures usagées, non pas à son
compte, mais pour le garage Généreux. Lucille avait bien tenté de faire passer
cette décision de son gendre pour une sorte de promotion sociale, elle avait
vite abandonné l'affaire quand elle s'était brisé une jambe au début de l'hiver
en glissant sur un trottoir verglacé. Elle avait eu toutes les peines à s'en
remettre. Pour cette occasion, Laurette s'était montrée compatissante, mais
elle n'en avait pas moins profité du long répit. Durant quelques mois, elle
avait pu respirer un peu, puisque sa belle-mère, incapable de bouger, avait dû
renoncer à ses visites à Montréal avec Conrad.
Enfin, Gérard
était de plus en plus accroché à la radio, passant des heures à écouter des
nouvelles de la guerre. Par ailleurs, il avait tout de même obtenu une autre
augmentation de salaire, ce qui leur avait permis d'acheter un mobilier de
chambre usagé pour meubler le salon, devenu
depuis peu, la
chambre à coucher de Jean-Louis. Il partagerait cette pièce avec l'un de ses
frères plus tard si le bébé se révélait être un autre garçon.
— M'man, est-ce
qu'on peut aller chez Brodeur? demanda Denise subitement apparue à la porte des
Gravel.
— Pour faire quoi
?
— Une commission
pour la mère de Colette.
— C'est correct,
mais traînez pas là. Tu déranges pas, au moins ?
— Non, madame
Morin, répondit l'amie de sa fille. On fait des dessins sur mon balcon.
Laurette regarda
les deux fillettes traverser la rue Emmett et entrer à l'épicerie du coin. Les
Comtois avaient vendu leur commerce deux mois auparavant à un vieux célibataire
bougon du nom d'Alcide Brodeur. À la plus grande satisfaction d'une bonne
partie de la population du quartier, le nouvel épicier avait accepté de faire
crédit à sa clientèle. Selon plusieurs habitués, il était très facile d'ouvrir
un compte chez lui. Quand Catherine Bélanger, la voisine de droite, le lui
avait appris, Laurette avait eu un seul commentaire :
— C'est ben de
valeur, mais moi, j'en ouvrirai pas. On n'est pas riches, mais on achète juste
ce "qu'on peut payer comptant. Des dettes, j'en veux pas.
Au gré du
mouvement de la chaise berçante, Laurette finit par somnoler quand la sirène
annonçant la fin de la journée de travail à la Dominion Oilcloth, rue
Parthenais, la fit sursauter. La luminosité avait légèrement changé et les
ombres s'étaient allongées. Jean-Louis n'était plus sur le pas de la porte.
— M'man ! fit la
voix de Denise qui apparut bientôt devant elle.
— Oui. Qu'est-ce
qu'il y a ?
— P'pa est à la
veille de revenir. Qu'est-ce qu'on mange pour souper? Voulez-vous que j'épluche
des patates?
— Non. Il fait
trop chaud. On va manger des sandwiches avec de la liqueur. T'occupes-tu de tes
frères ?
— Gilles et
Richard dorment tous les deux, étendus sur leur
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