Des rêves plein la tête
toute façon, le
v’là, le char du père Noël. Après ça, c'est fini. On s'en retourne à la maison.
Je vous garantis qu'il va faire chaud en maudit avant que je vous ramène voir
une parade, vous autres.
Une voix se fit
entendre dans son dos.
— Les enfants !
Ils sont tous pareils, dit une vieille dame qui tenait la main d'une fillette,
probablement sa petite-fille.
— Vous pouvez le
dire, fit Laurette, dont le cœur battait encore la chamade. Le petit, c'est le
chouchou de mon père. Chaque fois qu'on va là, mon père l'emmène flatter son
cheval. Il a dû vouloir faire la même chose avec celui-là. Des plans pour se
faire écraser. Le petit maudit ! Il m'a fait tellement peur que j'ai de la
misère à reprendre mon souffle.
Le vieillard à la
barbe blanche apparut alors, debout au centre d'un char allégorique, aux côtés
d'une fée des étoiles éblouissante. Sous les cris de centaines d'enfants
surexcités par son apparition, il lança quelques poignées de bonbons vers eux
en criant «Joyeux Noël». Aussitôt après son passage, la foule envahit la
chaussée et commença à se disperser.
Pendant un long
moment, Laurette ne bougea pas, encore trop secouée par ce qui avait failli
arriver à son fils. Bousculée par les passants, elle finit par se décider à se
mettre en marche, soudainement pressée de trouver un endroit où se réchauffer.
— Je vous aurais
ben emmenés chez Dupuis, dit-elle à ses aînés, mais ça va être plein de monde
et j'ai pas envie de vous perdre dans la foule.
— Pourquoi on
retourne pas chez nous ? demanda Jean-Louis, le nez rougi par le froid.
— Parce que les
p'tits chars vont être ben pleins et que ça va prendre un bon bout de temps
avant qu'on puisse embarquer.
Laurette jeta un
coup d'œil à ses enfants. Ils semblaient sérieusement souffrir du froid.
— Bon. Venez. On
va essayer de trouver un restaurant où il y a de la place pour s'asseoir. Vous
allez pouvoir vous réchauffer. Tenez-vous par la main et lâchez-vous pas.
Les enfants
étaient tout excités à l'idée de pénétrer dans un restaurant. Aucun n'y était
jamais entré. Après avoir marché une bonne dizaine de minutes en portant Gilles
dans ses bras, Laurette découvrit un petit restaurant qui ne payait pas de
mine, mais où quelques places semblaient encore libres. Elle s'y engouffra en
compagnie des siens et les entraîna vers une banquette recouverte de moleskine
noire.
— Assoyez-vous et
faites-moi pas honte, ordonna la mère de famille en déposant Gilles sur le
siège, à côté d'elle.
Jean-Louis et
Denise n'avaient pas assez de leurs deux yeux pour regarder ce qui se passait
autour d'eux. Laurette tira son étui à cigarettes de sa bourse et alluma la
cigarette dont elle avait tant envie depuis plus d'une heure. Quand la serveuse
lui demanda ce qu'elle désirait, elle
commanda une
frite et une boisson gazeuse pour chacun des enfants.
— Prenez pas ces
airs-là, leur dit-elle, mécontente, après que la serveuse eut déposé devant
chacun une assiette couverte de belles frites dorées. On dirait que vous êtes
jamais sortis de chez vous.
— On n'est jamais
venus dans un restaurant, m'man, fit Denise en mordant dans une première frite.
— C'est pas une
raison .pour avoir l'air niaiseux, la réprimanda sa mère. En tout cas, prenez
votre temps pour manger. On va essayer de rester ici dedans assez longtemps
pour qu'on ait de la place dans les p'tits chars. Si vous mangez trop vite, on
va aller geler dehors et on va être obligés de marcher.
Les enfants se le
tinrent pour dit et, malgré la faim qui les tenaillait, ils firent en sorte de
traîner à table. Un peu avant deux heures, Laurette- donna néanmoins le signal
du départ. Il y avait encore beaucoup de passants sur les trottoirs de la plus
grande artère commerciale de Montréal, mais le service de transport en commun y
avait été rétabli et les voyageurs en attente d'un tramway au coin des rues
étaient moins nombreux que trois quarts d'heure plus tôt.
Rassasiés et un
peu soûlés par tout cet air froid, les enfants étaient visiblement fatigués.
Aussi fourbue qu'eux, Laurette n'avait plus qu'une hâte : rentrer chez elle
pour préparer le souper. Pour une fois, elle ne dirait rien quand Gérard
allumerait la radio pour écouter le match de hockey des Canadiens. Il pourrait
même s'énerver tant qu'il voudrait quand Michel Normandin
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