Des rêves plein la tête
demeurer immobile, même au milieu de
la foule, ne réchauffait guère. Denise s'était déniché une place sur le bord du
trottoir et tenait la main de Gilles tandis que sa mère se tenait derrière eux
avec Jean-Louis, qui, comme à l'accoutumée, ne la quittait guère. Durant de
longues minutes, les curieux s'entassèrent de plus en plus dans leur dos au
point que Laurette dut en repousser quelques-uns d'un solide coup de coude.
— Aïe, poussez
pas, bonyeu ! Vous allez nous faire tomber, dit-elle à un certain moment en se
tournant vers l'arrière pour identifier qui la bousculait.
— M'man, est-ce
qu'il est à la veille d'arriver, le père Noël ? demanda la fillette de huit
ans. J'ai les pieds gelés.
— Ce sera pas
long, je pense, lui dit sa mère. Écoute. On entend déjà les fanfares qui s'en
viennent.
— Moi, j'ai des
bibittes aux doigts, se plaignit Jean-Louis.
— Aimez-vous
mieux qu'on s'en retourne sans avoir vu le père Noël?-demanda-t-elle,
impatiente. Bouge tes doigts dans tes mitaines pour les réchauffer.
Au même moment,
les premières majorettes vêtues de rouge et de blanc apparurent, précédées par
une première fanfare interprétant une marche militaire enlevante. Gilles et
Denise se penchèrent vers l'avant pour mieux les observer. La fanfare passa
dans un tintamarre de cuivres et de trompettes.
— Je vois le
premier char allégorique, m'man ! s'écria Denise.
— Moi, je le vois
pas, se lamenta Jean-Louis, prisonnier entre sa mère et un gros monsieur dont
la masse obstruait sa vue.
— Attends une
minute, lui dit Laurette. Il va passer devant toi. Tu manqueras rien.
Un tracteur
apparut bientôt dans le Champ de vision du garçon de sept ans. Il tirait une
plateforme sur laquelle des danseurs et danseuses, vêtus de costumes
folkloriques, exécutaient une ronde aux sons d'un violon et d'un accordéon.
Pendant plus d'une demi-heure, les fanfares, les clowns, les lutins et les
chars allégoriques défilèrent lentement devant les yeux ébahis des enfants.
— Vlà le père
Noël ! Vlà le père Noël ! se mirent-ils à crier. Il s'en vient.
Un frémissement
d'excitation parcourut la foule des spectateurs. La plupart étirèrent
immédiatement le cou
pour essayer de
voir le dernier char de la parade annuelle des magasins Eaton.
— M'man, je vois
rien, se plaignit à nouveau Jean-Louis d'une voix geignarde.
— Attends. Tu vas
le voir passer, répéta sa mère, visiblement agacée.
Cette dernière
avait de plus en plus froid. Depuis quelques minutes, elle avait même du mal à
réprimer ses frissons et ne cessait de taper du pied pour tenter de se
réchauffer.
Il y eut le bruit
d'une galopade de chevaux puis un cri. Laurette, occupée à souffler dans ses
doigts gourds, les yeux à demi fermés, sursauta.
— Mon Dieu ! Cet
enfant-là a failli se faire tuer ! entendit-elle soudain.
Jetant un coup
d'œil devant elle, Laurette ne vit plus Gilles et Denise. Son cœur eut un raté.
Elle se précipita vers l'avant à temps pour apercevoir son fils de trois ans et
demi assis dans la rue, à moins d'un pied des pattes d'un cheval monté par un
policier tandis que Denise le tirait vers l'arrière.
— Gilles !
cria-t-elle en se précipitant vers ses deux enfants.
Un clown prit le
petit dans ses bras et le lui tendit au moment où elle arrivait à lui. L'enfant
se mit à pleurer à chaudes larmes.
— Il a rien,
madame, la rassura le clown. Il a eu juste un peu peur. Je l'ai vu à la
dernière minute se lancer dans les pattes du cheval pour le flatter. Je pense
que le policier a eu plus peur que lui. Le cheval a bronché et a failli le
jeter à terre.
— Seigneur que
j'ai eu peur! s'exclama la mère de famille. Merci.
Elle retourna
rapidement vers le trottoir. Évidemment, la place qu'elle avait occupée avec
ses enfants avait été prise par d'autres spectateurs. Elle se flanqua
résolument devant ceux qui avaient osé la lui voler.
— Maudite
innocente ! s'emporta-t-elle contre Denise. T'es pas assez vieille pour
surveiller ton frère comme du monde ? Un peu plus et il se faisait tuer ! C'est
ça que tu voulais ?
— Je pouvais pas
savoir, m'man. Il m'a lâché la main tout d'un coup et il s'est garroché dans
les pattes du cheval, se défendit la fillette au bord des larmes.
— Là, surveille
Jean-Louis, lui dit rudement sa mère. Je m'occupe de Gilles. De
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