Des rêves plein la tête
sans tenir compte de l'offre.
— Je vais avoir
dix-neuf ans dans deux mois.
— Vous êtes encore
pas mal jeune, dit la mère de Gérard en se tournant vers elle pour la regarder.
Je veux pas être indiscrète, mais est-ce qu'il est dans vos habitudes de sortir
sans porter de corset ?
La jeune fille
sursauta légèrement en entendant cette critique ouverte et se retint avec
difficulté de répondre que cela ne la regardait pas.
— Rarement, se
contenta-t-elle de dire sèchement, en rougissant.
— A quoi
occupez-vous vos temps libres ?
— J'ai pas de
temps libres, madame, répondit Laurette. Je travaille tout le temps.
— Il me semble
que Gérard nous a dit que vous ne jouez d'aucun instrument de musique.
— Non. J'ai
jamais appris.
— J'espère que
vous lisez au moins ? reprit Lucille Morin en affichant un air un peu
scandalisé.
— Pas souvent,
madame, avoua Laurette, de plus en plus mal à l'aise.
Les deux femmes
étaient parvenues au bout de la petite esplanade qui servait de stationnement.
Elles firent demi-tour et revinrent lentement sur leurs pas.
— Aujourd'hui,
une jeune fille peut pas se contenter de faire uniquement des tâches ménagères,
dit la mère de Gérard sur un ton doctoral. Elle doit se cultiver un peu si elle
veut devenir une compagne agréable. Il faut pas vous laisser étouffer par le
milieu de petites gens où vous vivez.
Laurette blêmit
sous l'insulte et fit un effort surhumain pour ne pas répliquer. Elle avait du
mal à contenir la rage qui bouillonnait en elle. Son interlocutrice dut se
rendre compte de son état d'esprit parce qu'elle changea brusquement de sujet.
— Vous aimez mon
Gérard, mademoiselle Brûlé ?
— On s'entend
ben, madame, se contenta de dire la jeune fille sur un ton froid.
— Je suppose que
vous devez commencer à faire des projets d'avenir ensemble.
— Je pense que si
vous voulez le savoir, il va falloir que vous en parliez à votre garçon, madame
Morin. Moi, il m'a encore parlé de rien, répondit abruptement Laurette.
Sur ce, elle se
dirigea sans se retourner vers la Dodge contre laquelle les trois hommes
étaient appuyés. Tous les passagers montèrent à bord et l'oncle Paul reprit le
volant.
«Des petites
gens, des petites gens, se répétait la jeune fille. Tu parles d'une maudite
fraîche! Pour qui elle se prend, elle ? »
Durant une bonne
partie du trajet de retour, Laurette fixa la nuque raide du père de Gérard,
assis sur la banquette avant. A aucun moment, le quinquagénaire ne fit un
mouvement pour se tourner vers les autres passagers
de la voiture.
Pour sa part, Lucille Morin s'entretint presque exclusivement avec son fils.
Pendant les quarante minutes qu'il fallut pour revenir sur la rue Champagne, la
mère de son amoureux se conduisit comme si la jeune fille n'avait pas été là.
Lorsque
l'automobile vint s'immobiliser devant la porte des Brûlé, Laurette salua
Lucille sans aucune chaleur. Elle remercia le conducteur et descendit en
compagnie de Gérard. Debout sur le trottoir, Conrad lui tendit la main et se
contenta de dire cérémonieusement qu'il était content de l'avoir rencontrée.
Laurette éprouva
un réel soulagement de voir disparaître le véhicule au bout de la petite
artère.
— Il reste une
heure avant le souper, lui fit remarquer Gérard en consultant sa montre. Est-ce
que ça te tente de marcher un peu ?
— Viens me
chercher dans dix minutes, accepta son amie d'une voix blanche, avant de
pousser la porte de l'appartement familial.
Laurette retrouva
ses parents assis dans la cuisine.
— Ça s'est ben
passé ? lui demanda sa mère, curieuse.
— Pas trop mal,
répondit sa fille, le visage fermé.
— Du drôle de
monde pareil, fit remarquer son père en train de hacher sa provision de tabac à
pipe pour la semaine. Il me semble qu'ils auraient pu débarquer pour venir nous
saluer.
— Pour moi, ils
étaient gênés, mentit Laurette sans grande conviction.
La mère remarqua
l'air buté de sa fille et devina immédiatement que la rencontre avec les
parents de Gérard ne s'était pas très bien déroulée.
— Comment est sa
mère ? demanda-t-elle.
— Pas mal
fraîche, se contenta de répondre Laurette en se versant un verre d'eau.
— Son père ?
— Je le sais pas.
Il a presque pas parlé. Si ça vous fait rien, Gérard a envie de marcher un
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