Des rêves plein la tête
elle se rendit compte que leur lit
n'avait pas été fait et que des vêtements traînaient par terre au moment où
elle s'apprêtait à balayer le parquet de la pièce.
— Dites donc,
vous deux, est-ce que vous vous pensez à l'hôtel ? les apostropha-t-elle avec
humeur. Votre lit est pas fait et vos guenilles traînent partout.
— Si ça te
dérange, t'as juste à faire le ménage, répliqua Armand en allumant sa pipe
après avoir déposé sa tasse de thé.
— Nous autres, on
doit aller se chercher de l'ouvrage, intervint Bernard, comme si c'était une
raison suffisante pour ne rien ranger.
— Ma foi du bon
Dieu, ils se prennent pour des hommes ! s'exclama Laurette en prenant sa mère à
témoin.
— On est des
hommes, tu sauras, répliqua Armand en prenant un air supérieur.
— Aïe, mon petit
pitt ! C'est pas parce que tu commences à avoir un peu de moustache que t'es
devenu un homme.
Tes cochonneries,
tu vas les ramasser toi-même, ajouta-t-elle sur un ton menaçant.
— Calme-toi,
Laurette, lui ordonna sa mère. Et vous deux, vous allez aller me mettre un peu
d'ordre dans votre chambre avant de partir, vous m'entendez? On n'est pas vos
servantes.
— Mais m'man,
voulut protester Armand.
— Faites ce que
je vous dis.
Cette semaine-là,
les deux adolescents eurent la chance de décrocher un emploi temporaire
consistant à nettoyer des hangars dans le port de Montréal. On leur avait
promis du travail au moins jusqu'à la mi-décembre.
Le Noël de cette
année-là fut cependant assombri par un événement qui attrista toute la famille.
Depuis la
mi-novembre, Montréal avait connu de si importantes chutes de neige que les
trottoirs étaient devenus impraticables. Quelques jours avant la Nativité, les
remblais atteignaient jusqu'à quatre pieds de hauteur dans certaines rues.
Trois jours avant
Noël, au milieu de l'avant-midi, Annette était occupée à enseigner à sa fille
la préparation des tartes et des pâtés à la viande. Soudain, elle perçut un
mouvement dans la cour. Par la fenêtre givrée de la cuisine, elle vit son mari
qui tirait Prince par la bride.
— Veux-tu ben me
dire ce qui se passe ? dit-elle à sa fille. Ton père qui revient déjà de sa
run. Il y a quelque chose qui va pas, c'est certain.
Postée à la
fenêtre, la mère de famille regarda son mari dételer la bête et la faire entrer
dans l'écurie. Quelques minutes plus tard, Honoré secoua bruyamment ses pieds
contre les marches de l'escalier qui conduisait au balcon avant de pousser la
porte de la cuisine.
— Qu'est-ce qu'il
y a ? lui demanda sa femme, inquiète. T'as ben fini de bonne heure.
— C'est Prince,
se contenta de dire Honoré en retirant ses bottes puis son manteau qu'il
suspendit au crochet fixé au mur, à gauche de la porte.
— Qu'est-ce qu'il
a ?
— Il a l'air de
filer un mauvais coton aujourd'hui. Il reste pas en place. J'ai passé mon temps
à crier après lui depuis que je l'ai attelé à matin.
Laurette servit
une tasse de thé bouillant à son père. Il s'assit dans sa chaise berçante et
souffla sur le liquide acre avant de porter la tasse à ses lèvres. Devant les
regards graves de sa femme et de sa fille, il poursuivit:
— On aurait dit
qu'il avait plus de force pour tirer après une heure d'ouvrage, même si j'avais
juste une vingtaine de blocs de glace dans la voiture. Ça fait que je me suis
décidé à rapporter les blocs qui me restaient à la glacière et je suis revenu à
la maison. Ça servait à rien d'essayer de faire ma run arrangé comme ça.
— Qu'est-ce que
vous allez faire, p'pa? demanda Laurette.
— On va le
soigner s'il est en train de nous faire une maladie. Tu vas me préparer un gros
bol de soufre mélangé avec de la mélasse et je vais aller lui faire prendre ça.
Normalement, ça devrait le remettre sur le piton pour demain matin. Là, je lui
ai mis deux bonnes couvertes sur le dos et je lui ai donné de l'avoine.
Peut-être qu'il a juste besoin de se reposer un peu. Il est pas jeune, après
tout.
La jeune fille
repoussa le sel, le beurre et le rouleau à pâte, sortit la mélasse et le soufre
et prépara rapidement le mélange jaunâtre. Elle se proposa même pour aller le
donner à la bête, mais sa mère intervint.
— Laisse ton père
s'occuper de ça. Toi, il faut que t'apprennes à faire une pâte à tarte qui a du
bon sens. Ça
a pas
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