Des rêves plein la tête
dimanche des Rameaux.
La veille,
Annette avait intercepté Gérard au moment où il s'apprêtait à rentrer chez les
Charpentier après avoir passé la soirée au salon en compagnie de Laurette.
— T'as pensé à
vos fiançailles ? demanda-t-elle au jeune homme.
— C'est sûr,
madame Brûlé.
— On fait
toujours ça dimanche prochain ?
— Si ça vous
dérange pas trop, accepta Gérard, toujours poli.
— Ben, il
faudrait peut-être que t'écrives à tes parents ou que tu leur téléphones, s'ils
ont le téléphone, pour leur
dire qu'on les
invite à souper à Pâques pour les fiançailles.
— Vous êtes ben
fine, madame Brûlé. Je vais trouver un téléphone pour les appeler. Une voisine
de mes parents en a un.
— C'est parfait !
Essaye d'avoir une réponse au commencement de la semaine pour qu'on puisse
avoir le temps de se préparer.
Le lendemain, à
la fin de l'après-midi, Gérard vint confirmer que ses parents avaient accepté
de venir souper chez les Brûlé pour participer aux célébrations. Annette et sa
fille se mirent au travail sans attendre. Elles consacrèrent tant de temps à la
préparation du souper des fiançailles qu'Honoré finit par s'en inquiéter.
— Baptême,
Annette ! Deviens pas folle avec ce repas-là. C'est tout de même pas des noces
!
— On connaît pas
les Morin, se contenta de dire sa femme. Ils m'ont l'air du monde en moyens. On
n'est pas pour passer pour des quêteux, tu sauras.
— Si tu continues
à dépenser comme ça, protesta Honoré, on va finir par l'être, par exemple.
— On n'a pas fait
de folies, se défendit Annette. On a juste fait cuire un jambon et préparé un
ragoût. C'est pas la fin du monde. Pour dessert, Laurette a fait un gâteau aux
épices. On a fait aussi deux recettes de fudge qu'on va passer pendant la
soirée. C'est pas si exagéré que ça.
Laurette n'était
pas intervenue dans la conversation. Elle participait activement aux
préparatifs tout en appréhendant la soirée avec ses futurs beaux-parents. Elle
se souvenait encore trop bien de son unique rencontre avec eux. Elle avait beau
se répéter que les Morin ne resteraient chez ses parents que quelques heures,
elle craignait que son père et sa mère soient humiliés, surtout par les propos
de la mère de Gérard.
— Si jamais elle
essaye de nous cracher dessus, elle, je te dis qu'elle va prendre son trou, se
dit-elle à mi-voix. Je vais lui montrer comment je m'appelle, moi.
La journée de
Pâques 1932 fut magnifique. Le soleil était au rendez-vous, incitant les femmes
du quartier à étrenner de nouveaux chapeaux qui, souvent, n'étaient qu'une
vieille coiffure décorée de nouvelles plumes, de fleurs ou de petits fruits.
Chez les Brûlé,
on était fin prêt. La veille, Annette et sa fille avaient astiqué la maison,
accordant un soin particulier au lavage et au cirage du linoléum de chacune des
pièces. Au début de l'après-midi, elles avaient dressé le couvert avant de se
retirer dans leur chambre pour revêtir leur plus belle toilette.
— Les hommes,
mettez votre cravate et attachez vos manches de chemise, ordonna la mère de
famille en apercevant les manches de chemise relevées de son mari et de ses
deux fils. Toi, Honoré, ce serait plus convenable que tu mettes ton coat
d'habit.
— T'es pas
malade,, toi ! se rebiffa-t-il. Je vais crever dans le salon avec ça sur le
dos.
— Mets-le pareil,
lui dit sèchement sa femme. S'il fait trop chaud, tu l'enlèveras.
Quand Gérard
arriva avec sa sœur et ses parents, tous les Brûlé se levèrent pour les
accueillir. Annette fit passer ses invités au salon et les garçons
s'empressèrent d'aller chercher des chaises dans la cuisine pour que chacun
puisse profiter d'un siège.
Rapidement, les
tourments entretenus par Laurette durant la semaine précédente l'abandonnèrent.
Les Morin se montrèrent absolument charmants avec leurs hôtes. La jeune fille
eut même droit à un regard appréciateur de sa future belle-mère quand elle
s'était rendu compte que la fiancée portait un corset. Pendant que Lucille
Morin
échangeait avec
sa mère, Laurette eut tout le temps de détailler Colombe, la sœur de Gérard,
qu'elle voyait pour la première fois.
L'adolescente de
seize ans était presque aussi grande que sa mère. Elle était maigre et le
sourire ne lui venait pas facilement, malgré les blagues racontées par
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