Des rêves plein la tête
l'important
quadrilatère bordé par les rues Ontario, Notre-Dame, Frontenac et Parthenais. A
la fin du mois de mai, ils n'avaient trouvé nulle part un endroit leur
convenant ou dont le loyer respectait leur maigre budget. Quand les premières
chaleurs arrivèrent, ils se résignèrent à abandonner leurs recherches d'un
commun accord.
— Demande aux
Charpentier s'ils veulent nous louer ta chambre jusqu'au mois de mai de l'année
prochaine, dit
Laurette, la mort
dans l'âme. On n'a pas le choix, on va rester en chambre. Je pourrais toujours
demander à mon père de nous louer ma chambre, mais ce serait gênant et on
serait tassés avec mes deux frères qui vivent encore chez nous.
Les Charpentier
acceptèrent sans trop d'enthousiasme la demande de Gérard, mais ils ne
pouvaient probablement pas se permettre de perdre si facilement leur locataire
salarié en cette période morose de crise économique.
— Tu pourras
toujours venir passer tes journées avec moi si tu t'ennuies, offrit Annette à
sa fille quand elle fut mise au courant de la décision du jeune couple. Ce sera
moins pire que de passer toutes tes journées enfermée dans une chambre.
L'été commença
par de nombreuses journées de pluie, mais Laurette ne songea pas à s'en
plaindre, occupée qu'elle était à constituer son trousseau. Le mariage de
Suzanne représenta son unique sortie spéciale de la saison estivale. Cette
dernière épousa Gustave Allard le 31 juillet, en pleine canicule, et tint à ce
qu'elle assiste, en compagnie de Gérard, à la cérémonie et au repas de noces
offert par ses parents. Malheureusement, Laurette n'avait pas entièrement le
cœur à la fête. Elle allait perdre de vue son unique amie puisqu'elle et son
mari, un conducteur de tramway, allaient s'établir à Longueuil, autant dire à
l'autre bout du monde.
Quelques semaines
plus tard, le hasard voulut que Gérard revienne de son travail en compagnie de
Georges-Etienne Phaneuf, un veuf assez taciturne âgé d'une quarantaine
d'années, employé, lui aussi, à la Dominion Rubber.
Pour meubler la
conversation, le jeune homme mentionna à son compagnon de route qu'il se
mariait durant
ioo
l'automne et
qu'il avait renoncé à se trouver un appartement dans le quartier parce qu'il
avait été incapable d'en dénicher un convenable. Il se plaignit d'avoir à vivre
prochainement dans une petite chambre avec sa femme pendant près de six mois.
— C'est drôle que
tu me dises ça, dit Phaneuf. Moi, c'est ce que j'aimerais faire. Mes deux sœurs
restent ensemble sur De Montigny et elles arrêtent pas de m'offrir d'aller
rester avec elles. Elles ont une chambre pour moi. C'est vrai que la vie serait
moins plate avec elles si j'allais vivre là. Mais j'ai encore tous les meubles
que j'avais du temps que ma femme vivait. Ce serait tout un aria de commencer à
vendre ça.
— Où est-ce que
vous restez ? demanda Gérard.
— Sur une petite
rue, proche de Fullum. Sur la rue Emmett. J'ai un cinq et demi avec un hangar
et une petite cour qui donne sur une grande. C'est pas neuf, mais c'est
tranquille. Presque toutes les maisons de la rue appartiennent à la Dominion
Oilcloth. A part ça, le loyer est pas mal raisonnable. Neuf piastres par mois.
Soudain, une
vague d'espoir souleva le jeune homme. Serait-il possible que la chance lui
sourie enfin ? Si l'appartement était convenable...
— Qu'est-ce qui
vous empêche de partir ? s'empressa-t-il de demander en se forçant à contenir
son empressement.
— Pour commencer,
mon bail. Je viens de le signer jusqu'à l'année prochaine.
— Si quelqu'un le
reprenait?
— C'est sûr que
c'est faisable. Mais il y a aussi mes meubles. Je peux pas tous les apporter
chez mes sœurs. Leur appartement est plein comme un œuf.
Un long silence
ponctua la marche des deux hommes qui venaient d'arriver coin Fullum et
Notre-Dame. Au lieu
de poursuivre
jusqu'à la rue Dufresne, Gérard décida brusquement de remonter la rue Fullum
avec son collègue de travail. Il n'eut à parcourir que quelques centaines de
pieds avant d'arriver à la petite rue Emmett. Il n'avait jamais remarqué cette
artère étroite, parallèle à la rue Notre-Dame.
— Bon. Je te
lâche ici, lui dit Phaneuf. Moi, je suis rendu.
Constatant que
c'était sans doute là son unique occasion d'éviter de vivre dans une chambre,
Gérard se résolut à se jeter à l'eau.
—
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