Des rêves plein la tête
le sujet. Il
était bien placé pour se rendre compte que sa femme prenait très bien soin de
son fils... Peut-être même un peu trop. Depuis sa naissance, Jean-Louis était
devenu le sujet de toutes ses attentions et le centre de son monde.
La situation
devint telle qu'Annette finit par sentir la nécessité de s'en mêler, même si
elle avait longuement hésité à sermonner sa fille.
— Voyons,
Laurette. Il est correct, cet enfant-là. Lâche-le un peu et occupe-toi aussi de
Denise. Ta fille a commencé à marcher et on dirait que ça te fait rien.
Laurette n'avait
rien répliqué, mais n'avait pas non plus changé d'attitude pour autant.
Décidément, son entourage semblait déterminé à lui dicter ses moindres
agissements. Pourrait-elle un jour enfin faire à sa guise sans recevoir de
remontrances ?
Au début du mois
de novembre, la jeune mère de famille changea brusquement d'idée après que sa
mère lui eut fait remarquer que son fils ne semblait pas grossir très
rapidement.
— Ton Jean-Louis
m'a l'air un peu en retard pour son âge, dit Annette, lors de l'une de ses
visites chez sa fille.
Ce jour-là, cette
remarque sema l'inquiétude dans le cœur de Laurette, et, dès le départ de sa
mère, elle examina son dernier-né et prit soin de le comparer à sa jeune sœur
au même âge.
— Tu trouves pas
que le petit est pas ben gros pour un enfant qui vient d'avoir quatre mois ?
demanda-t-elle à Gérard quelques heures plus tard, au moment où elle terminait
la toilette du bébé. J'espère qu'il me couve pas quelque chose, lui.
— Ben non,
répondit distraitement son mari. Il m'a l'air ben correct.
Cependant, le
lendemain avant-midi, la découverte de rougeurs sur le ventre de l'enfant la
rendit folle d'inquiétude. Elle se demanda de quoi il pouvait bien souffrir.
«Si Gérard était ici dedans, j'habillerais Jean-Louis et je l'amènerais voir le
docteur», pensa-t-elle.
Après avoir
déposé l'enfant dans son petit lit, elle mit un épais lainage et sortit sur le
balcon arrière pour aller chercher les langes qu'elle avait mis à sécher sur sa
corde à linge quelques heures plus tôt. Au moment où elle s'apprêtait à rentrer
en portant un panier rempli de linge un peu raidi par le froid, elle entendit
Cécile Lozeau se déplacer sur son balcon, à l'étage.
— Madame Lozeau !
l’interpella-t-elle en descendant les trois marches pour que sa voisine la
voie.
— Oui, madame
Morin.
— Je viens de
trouver des boutons sur le corps de mon petit. Vous avez eu des enfants, vous.
Pensez-vous que je serais mieux d'aller voir le docteur avec ?
La voisine sembla
réfléchir un instant avant de répondre.
— Moi, à votre
place, j'irais plutôt à la Goutte de lait. C'est gratis et c'est pas loin. Si
je me souviens ben, c'est ouvert le mardi et le jeudi après-midi. Ça tombe ben.
Vous pouvez y aller cet après-midi.
— Où est-ce que
c'est? J'y suis jamais allée.
— Juste dans le
sous-sol du presbytère, madame chose.
— Je pense que
vous avez raison. Je vais habiller les deux petits et je vais y aller après le
dîner, déclara Laurette, un peu rassurée.
— Pauvre vous !
Vous êtes pas pour traîner deux enfants jusque là, reprit la voisine.
Laissez-moi votre petite fille avant de partir. Je vous la mangerai pas, ayez
pas peur.
— Merci, madame
Lozeau, vous êtes ben fine. Je vais vous la laisser juste le temps d'aller leur
montrer mon Jean-Louis.
La jeune mère
prépara le repas du midi très tôt et fit manger Denise. Pour sa part, elle
était si énervée qu'elle se sentit incapable d'avaler la moindre nourriture.
Après avoir confié sa fille à sa voisine, elle s'empressa d'emmitoufler son
bébé de quatre mois avant de le déposer dans son landau et se dirigea vers la
Goutte de lait.
Quand elle arriva
au coin des rues Sainte-Catherine et Fullum, elle passa devant le presbytère et
s'arrêta devant la petite porte du sous-sol située sur le côté est de
l'immeuble en brique grise. Il y avait déjà un landau vide à l'entrée. Laurette
prit son fils dans ses bras et pénétra dans les lieux.
Une infirmière à
l'uniforme d'une blancheur immaculée tournait le dos à la porte, occupée à
examiner un bébé étendu sur une table pendant que la mère tenait dans ses bras
les vêtements de son enfant.
— Vous pouvez
vous asseoir, madame, fit l'infirmière en tournant la tête
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