Des rêves plein la tête
Aussitôt, le
visage de Gérard se ferma et il allongea le pas. A son arrivée devant la porte
de son appartement, il salua la voisine d'un bref coup de tête et pénétra à
l'intérieur en ignorant sa femme. Il contourna le berceau placé au centre du
couloir et se rendit directement dans la cuisine.
Laurette quitta
difficilement sa chaise berçante.
— Vous
m'excuserez, madame Lozeau, mais il faut que j'aille m'occuper du souper de mon
mari, dit-elle à la voisine en repliant sa chaise qu'elle déposa dans l'entrée.
Gérard revint
dans le couloir, transporta le berceau dans la cuisine et ferma la porte
d'entrée derrière elle.
— Qu'est-ce que
t'as à avoir l'air bête comme ça ?
— Il y a, cybole,
que tu me fais honte ! répondit-il sèchement.
— Comment ça ?
— Qu'est-ce que
tu fais sur le trottoir devant la maison ?
— J'essaye
d'avoir moins chaud, tu sauras. C'est la seule place où il y a un peu d'air !
— Tu t'es pas vue
! Calvaire, Laurette ! De quoi t'as l'air, toute dépoitraillée, écrasée dans ta
chaise berçante, en jasant à tue-tête avec la bonne femme d'en haut? Je t'ai
déjà demandé de lui parler le moins possible. Cette femme-là a pas de classe.
— Maudit verrat,
exagère pas ! protesta Laurette. Je suis pas dépoitraillée. A part ça, tu
viendras pas me dire à qui parler, Gérard Morin !
— T'es-tu
regardée la tête ? T'es même pas peignée, reprit son mari, en élevant la voix.
— On crève de
chaleur, bonyeu ! Tu comprends rien, toi!
— Tout le monde a
chaud. En plus, tu fumes dehors à cette heure ? Qu'est-ce que les voisins vont dire
?
— Ben, ils diront
ce qu'ils voudront, bâtard ! Je m'en sacre ! s'emporta Laurette.
— Tiens ! C'est
exactement pour ça que je te demande de pas parler à la Lozeau. T'es rendue que
tu parles comme elle.
— Aie, Gérard
Morin, ça va faire ! s'écria Laurette, rouge de colère. Tu viendras pas faire
ta mère ici dedans !
J'ai pas besoin
de tes maudits sermons. Si tu t'imagines que je vais mettre un corset chaque
fois que je mets le nez dehors pour être comme elle, tu te trompes en maudit.
J'ai pas envie d'avoir l'air d'une frais chiée qui parle en termes juste pour
se faire remarquer. Si ça fait pas ton affaire, c'est le même prix.
Sur ces mots, la
jeune femme lui tourna le dos et alla s'enfermer dans sa chambre. Derrière la
porte, il l'entendit éclater en sanglots. Un peu avant six heures, elle revint
dans la cuisine, prépara un repas froid pour son mari qui s'était réfugié sur
le balcon et retourna s'étendre sur son lit sans manger.
Deux heures plus
tard, les premières contractions la réveillèrent en sursaut. Elle attendit,
angoissée, que les douleurs s'espacent avant d'appeler Gérard, retourné
s'asseoir sur le balcon après son repas.
— Qu'est-ce qui
se passe ? demanda-t-il avec brusquerie, bien décidé à lui montrer qu'il
n'avait pas apprécié la scène qu'ils venaient d'avoir.
— Va appeler le
docteur Miron. Le petit s'en vient, se contenta-t-elle de lui dire dans un
souffle.
— Voyons donc !
C'est seulement pour début juillet.
— Fais ce que je
te dis, bonyeu ! Il s'en vient. Gérard se rendit en hâte à l'épicerie Comtois
et s'exécuta avant de revenir précipitamment à l'appartement.
Cette seconde
naissance fut un peu plus compliquée que la première. Le travail dura toute la
soirée et ne prit fin qu'aux premières heures de la nuit. Laurette donna le
jour à son premier fils, qui ne pesait que cinq livres.
— Cet enfant-là a
tous ses membres, mais il est pas encore réchappé, dit franchement Albert Miron
aux parents. Prenez-en bien soin.
— Ayez pas peur,
docteur. Je vais ben m'en occuper, murmura la mère, complètement épuisée.
— Ma petite
madame, si j'étais vous, j'irais tout de même le montrer à la Goutte de lait
cet automne, conseilla le médecin avant de quitter l'appartement de la rue
Emmett.
Un soir, à la fin
de l'été, Laurette aborda le sujet de la Goutte de lait avec son mari.
— J'ai pas le
goût pantoute d'aller là, déclara-t-elle sur un ton sans appel. J'y suis jamais
allée avec Denise et elle est en pleine santé. Je suis pas niaiseuse. Je vois
pas pourquoi j'aurais besoin de cette patente-là pour m'occuper de mon petit.
— C'est toi qui
le sais, concéda Gérard peu intéressé à soulever une polémique sur
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