Des rêves plein la tête
pouvoir rien
acheter pour moi ou pour les enfants...
— T'es pas toute
seule, ma fille, à manger un peu de vache enragée, la tança Annette. T'en
mourras pas ! Compte-toi ben chanceuse d'avoir un toit sur la tête et de
pouvoir manger
trois repas par jour. Il y a ben des femmes qui prendraient ta place.
Laurette sembla
peu ébranlée par l'argumentation de sa mère.
— En tout cas, va
surtout pas dire ça devant ton mari. Tu m'entends ? Gérard fait son gros
possible pour te faire vivre. S'il t'entend te plaindre, tu vas le décourager,
cet homme-là.
De son côté,
Gérard aurait bien aimé pouvoir compter sur les encouragements de sa femme.
L'hiver était si rigoureux qu'il dut faire venir des poches de charbon à trois
reprises avant la fin du mois de mars, ce qui l'obligea à ouvrir un compte chez
Bégin, donc à s'endetter. Ses seules distractions après ses longues journées de
travail demeuraient la lecture de La Presse et l'écoute des informations à la
radio. -
— Toi et ta
maudite politique, se plaignait souvent Laurette. Tous ces gars-là rient du
pauvre monde comme nous autres et s'en mettent plein les poches.
— Parle donc pas
de ce que tu connais pas, se contentait-il alors de répliquer.
Au début du mois
d'avril, lors de la petite fête offerte à Annette pour célébrer son
quarante-septième anniversaire de naissance, le jeune père de famille défendit
avec acharnement Maurice Duplessis et son gouvernement de l'Union nationale,
attaqués par plusieurs invités. Il refusait obstinément de croire aux frasques
du premier ministre que la presse ne manquait pas de rapporter.
— C'est juste un
ivrogne et un courailleux, affirma son beau-frère Bernard pour le taquiner.
— Ça, c'est les
rouges qui disent ça, répliqua Gérard. On n'a jamais eu un bon homme comme lui.
Trouve-moi
un autre premier
ministre qui a fait voter une loi pour aider les mères nécessiteuses. Il y en a
pas.
— On sait ben,
mais j'espère que tu t'es aperçu qu'il fallait que la mère nécessiteuse soit
une sainte pour avoir droit à une cenne, intervint Armand en faisant un clin
d'œil à son père et à ses oncles, présents dans le salon. Pour toucher ses
quatre cents piastres dans l'année, il faut qu'elle vive avec son mari ou
qu'elle soit veuve et surtout que le curé de la paroisse signe un papier comme
quoi elle va à la messe tous les dimanches et qu'elle fait ses Pâques.
— C'est ben
correct, ça, approuva Annette avec Conviction. Il faut pas encourager le
mauvais monde.
— Et sa loi du
cadenas, madame Brûlé ! reprit Gérard. Vous me direz pas que c'est pas une
bonne loi, cette loi-là ? Les Témoins de Jéhovah et les communistes ont pas
d'affaire chez nous. On est des catholiques, nous autres.
— T'as raison,
mon Gérard, se moqua Bernard. Pour moi, le beau-frère, t'as manqué ta vocation.
T'aurais fait un maudit bon curé.
Les gens
s'esclaffèrent de cette boutade et Gérard eut le bon goût de rire avec eux.
Le printemps
sembla redonner des forces à Laurette, qui perdit peu à peu ses allures
dolentes avec l'arrivée du soleil et des premières chaleurs. Elle trouva même
assez d'énergie pour se lancer dans un grand ménage de l'appartement.
Quelques jours
plus tard, la jeune mère de famille fut cependant chagrinée d'apprendre le
départ des Lozeau. Sa voisine lui avait effectivement confié que son mari avait
perdu son emploi au CP et qu'ils retournaient vivre à Sherbrooke. Laurette
perdait ainsi une confidente joviale jamais avare de conseils. Pour leur part,
Gérard et Annette
se réjouirent
discrètement du déménagement de cette voisine qui exerçait, selon eux, une très
mauvaise influence sur la jeune femme.
— Bof! c'est pas
une grosse perte, finit par déclarer Gérard en entendant sa femme déplorer encore
une fois le départ prochain des Lozeau.
— Tu sauras que
c'est du bon monde ! s'emporta Laurette. C'est pas parce qu'elle parle pas avec
la bouche en cul de poule comme ta mère ou ta sœur que Cécile Lozeau est pas
correcte.
— Elle a pas de
classe, dit sèchement son mari. Elle parle comme elle marche. On l'entend
gueuler à l'autre bout de la rue.
— Fais donc le
frais, Gérard Morin ! Les Lozeau nous ont jamais causé de trouble en cinq ans.
Viens pas dire le contraire ! Je te souhaite presque de te ramasser avec une
gang de sauvages sur la tête quand ils
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