Des rêves plein la tête
chambre.
Soudain, le sommier gémissait, puis il n'y avait plus aucun bruit.
— Ça y est ! Le
sans-cœur est encore en train de dormir ! se disait-elle à mi-voix.
La plupart du
temps, elle ne le revoyait qu'au début de l'après-midi. Au moment où les
enfants faisaient leur sieste, il sortait de sa chambre et ouvrait la glacière
pour en tirer les sandwiches préparés par sa femme. Il mangeait à un bout de la
table, l'air buté, avant de disparaître à nouveau dans son antre. Les colères
de Jean-Louis, les jeux des enfants, la radio et le bruit de la machine à laver
ne paraissaient pas l'empêcher de dormir.
L'homme à la
pomme d'Adam saillante ne semblait toutefois pas se rendre compte à quel point
son comportement commençait à faire dangereusement bouillir sa logeuse.
— Il m'écœure, ce
gars-là ! explosa Laurette, un soir, au moment de se coucher.
— Bon. Qu'est-ce
qu'il a encore fait ?
— C'est justement
ça, il fait rien, le maudit puant !
— Ça, c'est pas
de nos affaires, la prévint son mari. Il paie sa pension tous les vendredis. Le
reste, ça nous regarde pas.
— Laisse faire,
toi ! Sa femme est une vraie esclave. Il va finir par la faire crever à
l'ouvrage pendant que lui, le maudit sans-cœur, il reste là à rien faire. Il
mange, il dort et il fume. C'est tout ce qu'il fait de ses journées. Ça fait
trois semaines qu'il est ici dedans et il est sorti deux fois pour aller se
chercher de l'ouvrage. Il y a tout de même des limites, bonyeu !
— Ça nous regarde
pas, répéta Gérard, excédé.
— Oui, ça nous
regarde ! le contredit sa femme d'une voix rageuse. S'il se trouve pas
d'ouvrage, ils pourront jamais se louer un appartement. Moi, je me vois pas
mettre Angelina dehors. Elle mérite pas ça. Lui, c'est d'un bon coup de pied
dans le cul qu'il a besoin ! Si ce maudit agrès-là se réveille pas, je vais le
réveiller, moi !
— Calme-toi les
nerfs, lui ordonna son mari en lui faisant signe de baisser le ton.
— En tout cas, je
te dis tout de suite qu'il est mieux de se tenir les fesses serrées s'il veut
pas que je le ramasse, poursuivit sa femme sans tenir compte le moins du monde
de sa mise en garde. Là, chaque fois que je lui regarde la face, j'ai juste
envie de lui mettre ma main sur la gueule pour le réveiller !
— Prends sur toi.
Pense que t'es ben contente d'avoir cinq piastres de plus dans ton portefeuille
toutes les semaines. Avec ça, on peut se payer des petits luxes et s'en mettre
un peu de côté.
Laurette se tut.
Elle songeait à ses sorties du samedi qui étaient devenues beaucoup plus
plaisantes depuis qu'elle avait un peu d'argent dans sa bourse. Elle eut même
un mince sourire au souvenir du dépit évident de son mari le premier samedi où
les Parenteau avaient été présents à la maison. Angelina avait spontanément
offert de garder les enfants pendant la journée. Ces derniers auraient été aux
anges d'être surveillés par la jeune femme, qui adorait les enfants.
— Il en est pas
question ! avait tranché Laurette. C'est ta seule journée de congé et t'as besoin
d'aller faire tes commissions pour la semaine et de faire ton lavage. Gérard
est dans la maison. Il est capable de s'occuper de ses enfants.
— Les hommes
auraient pu sortir pour se changer les idées, avait timidement avancé la
pensionnaire.
— C'est toi qui
as besoin de te changer les idées. Tu travailles comme une esclave toute la
semaine. Prends ton samedi pour faire ton ouvrage de maison et respirer un peu.
De toute façon, Emile doit être ben trop fatigué pour sortir, avait-elle ajouté
sur un ton persifleur.
Les deux hommes
avaient accepté de demeurer à la maison sans trop rechigner. Depuis, chaque
samedi matin, leurs épouses quittaient l'appartement en même temps.
Pendant que Pune
allait faire du lèche-vitrine dans l'ouest de la ville, l'autre faisait ses
emplettes pour la semaine. A son retour, Angelina lavait les vêtements du
couple et étendait son linge sur des cordes tendues dans la chambre qu'elle
occupait avec son mari.
Laurette s'était
résignée à faire montre de beaucoup de tolérance envers les Parenteau, par
pitié pour Angelina. Elle laissa passer encore deux autres semaines pendant
lesquelles elle se contenta de ronger son frein.
Au début d'avril,
la neige avait sérieusement commencé à fondre. Les caniveaux suffisaient à
peine à absorber l'eau
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