Des rêves plein la tête
là.
— Et l'argent?
— Laisse faire
l'argent, fit Laurette. On s'en passait avant. On est capables de continuer à
vivre sans leurs maudits cinq piastres.
Au fond, la jeune
mère de famille regrettait déjà la perte de cet appoint important à son budget
hebdomadaire. Elle allait devoir réapprendre à compter le moindre sou. Elle
réprima une grimace et se rendit dans le salon pour vérifier que ses deux
enfants jouaient tranquillement.
Le lundi matin
suivant, Gérard prit bien soin d'avertir sa femme avant d'aller travailler.
— Je veux pas te
voir commencer à laver des plafonds et des murs. Tu m'entends ? Organise-toi
pas pour perdre le petit. T'as presque six mois de faits.
— C'est correct,
accepta. Laurette. Je vais laver les armoires en t'attendant.
— C'est ça. A
soir, je vais ôter les châssis doubles et poser les jalousies. Tu pourras laver
les fenêtres demain, si t'as le temps. De toute façon, il y a pas de presse. On
est juste à la mi-avril.
Le soir venu, le
magasinier de la Dominion Rubber eut le temps d'effectuer tout ce qu'il avait
projeté avant le coucher du soleil. Après le repas, il demanda à sa femme
d'étaler des journaux dans le couloir et la cuisine et entreprit de retirer par
sections la quinzaine de tuyaux noirs allant de la fournaise à la cheminée
située derrière le poêle à huile. Il sortit chacune avec mille précautions pour
aller en faire tomber la suie accumulée durant l'hiver dans l'une des deux
poubelles métalliques sur le balcon. L'installation de tous ces tuyaux retenus
en place par des broches fixées au plafond demanda une bonne heure de travail.
— Le pire est
fait, déclara Laurette au moment où son mari rangeait son escabeau. Il va juste
rester à laver. Demain soir, on va commencer par la chambre d'en arrière.
L'Emile a tellement fumé là-dedans que les murs sont jaunes.
Gérard et
Laurette travaillèrent pratiquement chaque soir de la semaine suivante,
désirant tous les deux terminer rapidement le grand ménage du printemps. La
température se faisait de plus en plus douce au fur et à mesure qu'on
approchait du mois de mai et le couple avait envie de pouvoir bientôt en
profiter à son aise.
Le samedi,
Laurette renonça à sa sortie hebdomadaire pour aider son mari à laver le salon,
la dernière pièce à nettoyer. Des claquements de portières devant la maison
poussèrent la jeune femme à tourner la tête vers la fenêtre.
— C'est pas vrai
! s'exclama-t-elle à mi-voix. Pas eux autres ! On les a pas vus depuis les
fêtes et il faut qu'ils nous tombent sur le dos en plein ménage.
— Qu'est-ce qu'il
y a ? lui demanda Gérard, en train de laver le plafond, debout sur l'une des
dernières marches de son escabeau.
— Vlà ton père,
ta mère, Rosaire et Colombe, en plein samedi après-midi. Bonyeu, ils ont pas
autre chose à faire que se promener, eux autres !
Sur ce, Laurette
s'efforça de se coller un sourire dans le visage avant d'aller ouvrir la porte
aux visiteurs. Denise et Jean-Louis étaient déjà dans le couloir pour voir qui
arrivait.
— Entrez, entrez,
fit Laurette. Vous nous poignez en plein barda de printemps, ajouta-t-elle pour
excuser sa tenue et l'odeur d'eau de Javel qui régnait dans la maison.
— On veut pas
vous déranger longtemps, fit Rosaire en laissant passer devant lui sa
belle-mère, sa femme et son beau-père.
Gérard apparut
dans le couloir et serra la main de son père et de son beau-frère après avoir
embrassé sa mère et sa sœur.
— Venez vous
asseoir dans la cuisine. Au moins, là, c'est en ordre, précisa l'hôtesse en
poussant ses enfants devant elle.
— Qu'est-ce que
vous faites en ville aujourd'hui ? demanda Gérard en allumant une cigarette
après en avoir offert à ses invités qui, tous, refusèrent.
— Tu le sais pas
encore, mais Rosaire et Colombe déménagent à Montréal la semaine prochaine, lui
annonça sa mère.
— Dites-moi pas
ça ! s'exclama Laurette. Où est-ce que vous allez rester ? demanda-t-elle à
Colombe, qui n'avait pas encore ouvert la bouche depuis son entrée dans
l'appartement.
— Sur le
boulevard Saint-Joseph, pas loin de la rue Papineau.
— Sacrifice! Vous
vous en allez dans un coin où les loyers sont pas donnés, ne put s'empêcher de
s'écrier la maîtresse de maison, parvenant mal à cacher son envie.
— Ils s'en vont
rester dans une vraie
Weitere Kostenlose Bücher