Des souris et des hommes
« Y a des gars par ici qui
s' baladent avec les jambes en manches de veste parce que ça leur plaît de
regarder une lampe à fanfreluches. »
George dit :
— Clara
tient l'autre maison, hé ?
— Oui,
dit Whit. Nous y allons jamais. Chez Clara on paie trois dollars le coup et
trente-cinq cents le verre,
et puis elle n' raconte pas de blagues. Mais, chez Suzy, c'est propre et y
a de bons fauteuils. Et, en plus, elle n' laisse pas entrer les Malais.
— Lennie
et moi, on veut se faire un magot, dit George. J'irai peut-être m'asseoir et
boire un verre, mais je dépenserai pas deux dollars et demi.
— Faut
bien qu'on s'amuse des fois, dit Whit.
La porte
s'ouvrit et Lennie et Carlson entrèrent ensemble. Lennie alla s'asseoir sur son
lit en s'efforçant de ne pas attirer l'attention. Carlson se pencha et tira son
sac de dessous son lit. Il ne regarda pas le vieux Candy qui était toujours
tourné vers le mur. Carlson sortit de son sac une petite baguette à nettoyer et
une bouteille d'huile. Il les déposa sur son lit puis il prit le pistolet,
sortit le magasin et fit tomber les balles. Il se mit ensuite à nettoyer le
canon avec la petite baguette. En entendant le déclic de l'éjecteur Candy se
tourna et regarda l'arme un instant avant de se retourner face au mur.
Carlson
dit incidemment :
— Curley
n'est pas encore venu ?
— Non,
dit Whit. Qu'est-ce qui le ronge, Curley ?
Carlson,
l'œil cligné, regardait dans le canon de son pistolet.
— Il
cherche sa bourgeoise. Je l'ai vu dehors en train de fouiner dans tous les
coins.
Whit dit
ironiquement :
— Il
passe la moitié de son temps à la chercher, et, le reste du temps, c'est elle
qui le cherche.
Curley,
très agité, entra dans la chambre.
— Vous
avez pas vu ma femme, des fois, les gars ? demanda-t-il.
— Elle
n'est point venue ici, dit Whit.
Curley
inspecta la salle d'un air menaçant.
— Où
diable est Slim ?
— Il
est allé à l'écurie, dit George. Il est allé mettre du goudron sur un sabot
fendu.
Curley
abaissa les épaules et bomba le torse.
— Y a
combien de temps ?
— Cinq...
dix minutes.
Curley
bondit vers la porte qu'il fit claquer derrière lui. Whit se leva.
— M'est
avis que j'aimerais bien voir ça, dit-il. Curley baisse, sans quoi, il se
frotterait pas à Slim. Et Curley est habile, bougrement habile. Il a boxé dans
les finales pour les Gants d'Or. Il a des coupures de journaux là-dessus.
Il
réfléchit.
— Mais
quand même, il ferait mieux de laisser Slim tranquille. On n' sait jamais ce
que Slim peut faire.
— Il
croit que Slim est avec sa femme, pas vrai ? dit George.
— Ça
en a tout l'air, dit Whit. Naturellement, Slim n'est pas avec elle. Du moins, j’crois
pas. Mais, si ça s' gâte, j'aimerais bien voir ça. Venez, allons-y.
George dit :
— Moi,
j’reste ici. J’veux pas être mêlé à ces histoires-là. Lennie et moi, on veut
gagner du pèze.
Carlson
acheva le nettoyage de son pistolet, le remit dans le sac et poussa le sac sous
le lit.
— M'est
avis que je vais aller y jeter un coup d'œil, dit-il.
Le vieux
Candy ne bougeait pas, et Lennie, de son lit, surveillait George prudemment.
Quand Whit
et Carlson furent partis et que la porte se fut refermée derrière eux, George
se tourna vers Lennie.
— Qu'est-ce
que t’as dans l'idée ?
— Rien,
George. Slim dit qu'i vaut mieux que j’caresse pas tant les petits chiens
pendant quelques jours. Slim dit que c'est pas bon pour eux. Alors, j’suis tout
de suite revenu. J'ai été sage, George.
— J'aurais
pu te dire ça moi-même, dit George.
— Oh !
j’leur faisais pas de mal. J'avais le mien sur mes genoux et j’le caressais,
c'est tout.
George
demanda :
— As-tu
vu Slim dans l'écurie ?
— Pour
sûr que je l'ai vu. Il m'a dit que j’ferais mieux d' plus caresser mon
petit chien.
— As-tu
vu cette femme ?
— Tu
veux dire la femme à Curley ?
— Oui.
Est-ce qu'elle est venue à l'écurie ?
— Non.
En tout cas, j’l'ai pas vue.
— T'as
pas vu Slim lui parler ?
— Non.
Elle est pas venue à l'écurie.
— Ça
va, dit George. Probable qu'ils ne verront pas de bataille. S'ils se battent,
Lennie, t'en mêle pas.
— J’veux
point me battre, dit Lennie.
Il se leva
de son lit et s'assit à la table en face de George. George battit les cartes presque
automatiquement et recommença sa réussite. Il agissait avec une lenteur
délibérée,
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